TRACES DE VIES (août 2023) :
Dixième recueil de poèmes de Jean-Paul Inisan, Traces de Vies est possiblement sa dernière œuvre, du moins dans le domaine de la poésie. Il regroupe des textes divers, certains « likés » des milliers de fois sur les réseaux sociaux, d’autres plus anciens, dont le caractère confidentiel et autobiographique avait jusque-là dissuadé l’auteur de les publier
Fidèle à une règle qui lui est chère, le poète s’identifie pleinement aux personnages auxquels il prête son langage. Il commence ainsi par révéler son positionnement radical contre l’exclusion sociale et contre la guerre. Des messages émanant directement d’un au-delà omniprésent constituent ensuite comme un discours à la fois poignant et rassurant que nous adressent nos êtres chers brutalement disparus.
Enfin, après avoir évoqué les quelques leçons que la Vie lui a dispensées au cours d’une existence bien remplie, mais qui l’a aussi confronté à des déchirements et des dangers extrêmes, l’auteur nous raconte, à sa manière à la fois truculente et précieuse, quelques folles péripéties de passion amoureuse. Le livre se clôture par de délicates esquisses de portraits qui sont comme de vieux souvenirs empreints de nostalgie et de tendresse.
Extraits publiés ci-dessous
Auteur : Jean-Paul Inisan*, éditeur : Edmond Chemin, août 2023 - 160 pages, format de poche 19 cm x 12 cm - Prix : 15 euros - ISBN : 979-10-95638-19-3 - Peut être commandé en librairie et sur tous les sites de vente internet : bod. fr, fnac.com, amazon.fr, decitre.fr, dialogues.com, etc. -
Extraits de Traces de Vies
(reproductions autorisées avec mention de la source)
À MA MÈRE
C'était mon premier rendez-vous
Et ce fut de tous le plus doux
Celui qui marqua le début de mon histoire
Mais dont je n'ai aucune mémoire
Je ne t'ai pas choisie
Tu étais déjà ici
Je suis arrivé sur terre
Longtemps après toi ma mère
Et quand pour la première fois
Tu m'a pris avec amour dans tes bras
Nous avons fait connaissance
En nous regardant longuement en silence
Tu n'as pas eu besoin de parler
Pour que je me sente tout de suite aimé
Je n'étais pourtant pas d'une beauté exceptionnelle
Mais ta tendresse fut tout de suite inconditionnelle
Tu me pardonnas d'avance toutes mes erreurs
Même celles qui plus tard te blessèrent le cœur
Et je m'en voulus souvent de l'angoisse
Que t'inspiraient mes folles audaces
Mais quelle que fut la situation
Tu assuras toujours ma protection
Dans les moments difficiles
Je me sentais toujours tranquille
Je savais que je pouvais compter sur toi
Tu compris tout de suite quelle était ma voie
Ce qui me fait aujourd'hui de la peine
C'est que toi pour moi tu abandonnas la tienne
Et quand survint avec mon père la séparation
Je ne la vécus pas comme un abandon
Ce fut même presque une chance
Pour unir encore plus nos deux existences
Je regrette de ne pas te l'avoir dit plus souvent
Que tu étais pour moi plus qu'une maman
Tu étais aussi une amie et une coéquipière
Dans mes jeux ma plus formidable adversaire
Tu t'intéressais à tout ce que je faisais
Empiétant même parfois sur ma liberté
Ce qui me mettait en rage
Mais je n'étais pas enfermé dans une cage
Mes amis n'étaient pas toujours les tiens
Tu n'en connaissais même pas certains
Et toi tu n'étais pas toujours très sage
Tes amoureux n'étaient jamais que de passage
Si nous partagions les mêmes passions
Cela n'empêcha pas de violentes confrontations
Tu ne cédais pas à mes colères
C'est de cette manière que se forgea mon caractère
J'appris que c'était en te parlant calmement
Que je me sentais écouté et toujours plus grand
Mes désirs et mes rêves devenaient alors acceptables
Et même parfois tout à fait réalisables
Aujourd'hui que tu es partie
C'est ainsi que tu restes présente dans ma vie
C'est ce mélange d'amour de passion et d'exigence
Qui remplit chaque jour mon existence
C'était mon premier rendez-vous
Et ce fut de tous le plus doux
Celui qui marqua le début de mon histoire
Mais dont je n'ai aucune mémoire
VOUS ÊTES TOUS MES ENFANTS
Dans mon cœur, vous êtes tous mes enfants,
Des uns et des autres tous très différents,
Mais, pour moi, vous êtes tous les mêmes,
Car tous, comme vous êtes, je vous aime.
Enfin, « ici », ici à zéro millimètre de moi,
À cet endroit précis où je vous vois,
Là où je ne vois apparaître
Que l’infinie richesse de vos êtres.
Comme dans un immense écrin,
Ici-maintenant, mon « Je » vous contient,
Comme des brillantes merveilles,
Jamais à elles tout à fait pareilles.
Et c’est le plus prodigieux des bonheurs
Que vous apparaissiez ainsi dans mon intérieur.
J’en reprends toujours conscience
En faisant en moi le silence,
Simplement en vous écoutant,
Simplement en vous voyant,
En acceptant ma totale ignorance
Qui me permet de refaire sans cesse votre connaissance,
De ne jamais me donner de vous une définition,
Aucun jugement, aucune interprétation,
Mais d’accueillir votre inconnaissable mystère,
Qui est la source même de votre Lumière.
Quand je regarde vers Ici,
Vers ce qu’essentiellement je suis,
De moi strictement à zéro millimètre,
Je retrouve mon véritable maître.
C’est comme un cadeau de la Vie
Qui me dit qui vraiment je suis.
Ici, ici je ne vois personne,
Sauf tout un monde qui foisonne.
Dans mon cœur, vous êtes tous mes enfants,
Des uns et des autres tous très différents,
Mais, pour moi, vous êtes tous les mêmes,
Car tous, comme vous êtes, je vous aime.
JUSTE PARTI FAIRE UNE COURSE
Ma chérie, ne pleure pas : rien n'a changé,
Tout est resté comme durant ces belles années.
Je suis juste parti faire une course
Tout près de la Grande Source.
Tu sais, celle qu'on aimait tant écouter,
Et rien n'a changé : elle nous fait toujours chanter.
Viens encore ici écouter sa céleste musique,
Vivons encore ensemble des moments magiques.
La main dans la main, le cœur dans le cœur,
Savourons encore longuement notre bonheur.
Ressens encore tout près de toi ma présence,
Du véritable amour l'indestructible permanence.
Je ne suis pas parti très loin,
Je suis là-bas un peu après le jardin.
Je suis juste parti faire une balade,
Par le petit sentier une promenade.
Le temps est toujours très court
Quand il est traversé par l'amour.
Regarde, à chaque instant je te fais signe,
Avec toi je suis constamment en ligne.
Il n'y a jamais eu d'interruption,
Nous serons toujours en connexion.
Pas besoin de cultiver nos mémoires
Pour croire à la suite de notre histoire,
Car tout se passe maintenant et ici.
Que ce soit le jour ou la nuit,
Je réchaufferai ton cœur de ma flamme,
Je te donnerai le meilleur de mon âme.
Il me suffira de continuer à t'aimer,
Il me suffira simplement de te regarder,
Il me suffira simplement de t'entendre,
Il me suffira simplement de te comprendre.
Même si à un autre tu devais te lier
Je ne cesserais jamais de t'aimer.
C'est dans la plus totale transparence
Que je bercerais alors votre romance.
Ma chérie, ne pleure pas, rien n'a changé,
Tout est resté comme durant ces belles années.
Je suis juste parti faire une course
Pas très loin de la Grande Ourse.
ÇA VA PAPA ?
Ça va papa ? Ça va papa ?
Le père était soldat
Et il ne peut pas répondre,
Car il n’est plus de ce monde.
Ça va papa ? Ça va papa ?
L’enfant ne comprend pas,
Il croit que son père sommeille
Et sur lui gentiment il veille.
Au loin grondent les canons.
C’est l’orage, se dit le garçon.
Un éclair le transforme soudain en lumière.
De tout son cœur il embrasse son père.
PAIX ET AMOUR SUR LA TERRE
La paix est le plus précieux des biens
Et la guerre est le plus horrible des chemins.
C'est le souvenir d’une cruauté à jamais inoubliable
Qui inflige à tous des blessures inguérissables.
De nos ennemis ne suivons pas la même voie.
Face à l'agression faisons un autre choix.
Celui qui répond à la violence par la violence,
C'est le malheur que pour des siècles il ensemence !
Le Mahatma et son maître Tolstoï l'ont dit :
La loi de l'Amour est la loi supérieure de la Vie.
Alors, sans surtout jamais nous soumettre,
Ne suivons pas l'exemple de nos ancêtres.
Combattre les envahisseurs avec des fleurs,
Ce n'est pas leur montrer que nous avons peur,
Mais c'est l'éblouissante clarté de l'innocence
Qui désarme les persécuteurs de leur obscure ignorance.
La seule victoire qui perdure, c'est celle de la Vérité,
Ce n'est pas celle qui est par la force imposée.
Amis ou ennemis, nous sommes tous respectables,
De la paix et de la guerre nous sommes tous responsables.
Nous sommes tous à la recherche du bonheur
Et en nous tous bat le même grand cœur :
Nous voulons protéger des nôtres les plus fragiles,
Leur assurer un début et une fin de vie tranquilles.
Nous espérons tous le retour des beaux jours,
Nous croyons aux bienfaits de l'Amour,
Nous sommes tous sœurs et frères,
Tous habitants de notre belle planète la Terre.
LUMIÈRE DE L'ÂME
Pardon, Maman, d'être partie
Sans t'avoir d'abord avertie,
Mais je n'ai pas choisi mon heure
Pour m'installer dans ma nouvelle demeure.
Je me suis retrouvée soudain ici,
Très loin de ma famille et de mes amis.
Bien sûr, c'est un lieu paisible et indestructible,
Où je ne serai plus jamais une anonyme cible.
Mais tout de même je suis partie trop tôt,
J'aurais voulu revoir notre maison au bord de l'eau,
Jouer et courir de nouveau sur la grande plage
Avec mon petit chien, faire de grands voyages.
J'aurais voulu connaître la fin de tous nos maux
Et apprendre enfin le vrai sens des mots.
J'aurais voulu avoir une gentille maîtresse
Qui m'aurait appris ce qu'est la sagesse.
Car c'est vrai que j'ai été une difficile enfant.
Malgré le danger nuit et jour présent
Je riais souvent comme une folle.
Bizarrement, cette vie me paraissait drôle !
Je sautais, criais, chantais et courais partout
Et tu devais souvent me panser les genoux.
Mais tu le faisais avec une telle délicatesse
Que tes gestes étaient comme des caresses.
Oh, Maman, je ne te le disais pas,
Tout l'amour que j'avais pour toi,
Mais c'est vrai que je n'étais pas un ange,
Ce n'était pas mon genre de faire des louanges.
Pour jouer je préférais les garçons.
Nous jouions à la guerre et au ballon,
Nous jouions à cache-cache
Entre les toiles et les grandes bâches.
Le premier qui me trouvait,
Je lui donnais un baiser
Et je détalais aussitôt comme une gazelle,
Rapide et légère, comme si j'avais des ailes.
Un jour, j'ai fini par m'envoler.
Un matin clair, quelque chose du ciel est tombé.
Il y a eu alors comme le fracas d'un énorme orage
Et j'ai changé brusquement de paysage.
D'ici je t'entends et je te vois très bien.
Je vois ton désespoir et ton chagrin,
Je vois les larmes couler sur ton beau visage.
J'espère que tu recevras ce message !
Maman, il te reste mes frères et mes sœurs.
Tu sais, ils restent présents dans mon cœur.
Je vous protégerai tous par l'infinie puissance
Que me donne mon nouveau lieu de résidence.
LE GRAND TUNNEL DE LA VIE ET DE LA MORT
Dans cet étrange long tunnel
Qui m’amène vers je sais quel ciel,
Je ne me souviens déjà plus de mon visage
Et encore moins de mon âge.
En route vers un monde lumineux,
Je vous vois de mieux en mieux.
À présent que vous n’êtes plus des images
Je voudrais vous envoyer de beaux messages
Pour vous dire que même si je m’en vais
Je continuerai toujours à vous aimer
Et qu’il ne faut plus penser à ma souffrance,
Car ici je n’en ai plus la souvenance.
Ici je n’ai pas réellement de corps.
Il ne m’a pas suivi, il est resté là-bas, dehors.
Il appartient à une autre histoire,
J’en perdrai même bientôt la mémoire.
Mais je vous vois sur lui vous pencher et pleurer.
Je voudrais vous crier que vous vous trompez,
Qu’il n’a été qu’un étroit habitacle
Qui a connu une très prévisible débâcle.
Je voudrais vous dire que ce n’est plus moi,
Que de la matière brute je ne subis plus la loi.
Ici maintenant je suis fait d’une subtile substance
Qui rend mon champ de vision immense.
Et je dédie l’immensité de mon amour
À toi la douce compagne de mes derniers jours,
À vous mes enfants pour vous faire oublier mes absences,
Vous donner en la vie et en la mort une totale confiance,
Pour vous faire connaître du vrai bonheur le secret
Qui est d’aimer les autres sans rien en espérer,
Car alors plus rien ne vous limite,
Et votre vie devient bien plus qu’une réussite.
Mais voici que je rencontre de rayonnantes entités.
Inconditionnellement je me sens par tous aimé.
Et je vois toujours vos chers visages,
Ils font partie de mon nouveau paysage.
SUZANNA DE MA RUE
Qu'es-tu devenue ô toi Suzanna
Toi qui faisais la manche devant le Columbia
Sans jamais mendier mais avec une vraie noblesse
Qui se mêlait étrangement à une humble gentillesse
Dans ton regard il y avait tant d'amour et de douceur
Que je te prenais presque pour ma grande sœur
Tu me faisais d'intimes confidences
Et j'étais touchée de ta confiance
Tu me révélais quelques-uns de tes secrets
Sans jamais totalement dévoiler
Le plus profond de ton âme
C'était entre nous c'était entre femmes
Toi qui vivais de rien dans la rue
Tu étais pourtant bien vêtue
Avec le même imper noir toujours impeccable
Tu étais d’une élégance véritable
Tes longs cheveux grisonnants chaque matin recoiffés
Soigneusement ramassés sous un fichu foncé
Et dans tes grands yeux sombres cette fiévreuse attente
Qui te donnait parfois un air de suppliante
Tu me racontas un peu ton passé
Celui d'une étrangère sans-papiers
Qui très tôt s'était trouvée dans la solitude
Mais avait refusé toute sollicitude
Tu me parlas de cet enfant qui aurait pu t'héberger
Mais qui lui aussi par la vie avait été blessé
Et il avait franchi le grand passage
Pour toi cela avait été un terrible naufrage
Au début tu nous proposais des petits journaux
Et on te donnait quelques euros
Beaucoup d’entre nous te faisaient la bise
Car ce n'était pas un échange de marchandises
C'était un simple remerciement
Pour ton regard toujours bienveillant
Pour faire partie de notre quotidien paysage
Comme une familière et rassurante image
Même ceux qui ne te voyaient pas
Tu ne leur en voulais pas
Mais tu étais d'une grande franchise
Aux plus forts tu ne t'étais jamais soumise
Chaque fois que je te quittais
Tu me souhaitais surtout une bonne santé
Et moi je pensais à toi à ta misère à ton âge
Je craignais que tu en meures ou qu’on te mette en cage
Aujourd'hui j''ai déménagé et tout ça est déjà loin
Mais je me demande souvent quel a été ton chemin
Es-tu toujours comme un oiseau sur la même branche
Ne la quittant que les jours fériés et le dimanche
J'ai parfois peur qu'on t'ait délogée ou même expulsée
Ou que tu sois morte de ne pas pouvoir te soigner
Je m'en veux alors de ne pas t'avoir donné plus de tendresse
De ne pas avoir mieux écouté ta secrète détresse
Qu'es-tu devenue ô toi Suzanna
Toi qui faisais la manche devant le Columbia
Sans jamais mendier mais avec une vraie noblesse
Qui se mêlait étrangement à une humble gentillesse
UN GEORGE À L'ÉCOLE
Pourquoi ont-ils ri quand il a levé la main
Est-ce parce qu'il ne voulait pas être l'un des sept nains
Ou est-ce parce qu'il n'était pas mon meilleur élève
Ou bien parce qu'il avait de grosses lèvres
Est-ce parce qu'il était si souriant
Que de tous les autres il paraissait si différent
Est-ce parce qu'il est venu au tableau si vite
Qu'on aurait presque dit une course-poursuite
Est-ce parce que d'habitude il n'osait pas
Et qu'en arrivant il a fait un faux-pas
Il ne paraissait pourtant pas fragile
Mais sa respiration était difficile
Est-ce à cause de la légère crépure de ses cheveux
Ou de la grande clarté de ses yeux
Qui me disait l'immense confiance
Qu'il plaçait dans ma bienveillance
Est-ce à cause de son nez
Qui était un peu écrasé
Ou parce qu'ils ont trouvé très drôle
Qu'un garçon veuille jouer d'une jeune fille le rôle
En tout cas aucun des enfants n'a eu l'air étonné
Personne dans la classe ne s'est moqué
Dans la beauté de leur innocence
Ils n' y ont vu que de l'excellence
J'étais jeune et c'est seulement dans la soirée
Que j'ai compris et que j'ai pleuré
De mes deux superviseurs et de moi j'ai eu honte
D'avoir choisi Blanche-Neige plutôt qu'un autre conte
Aujourd'hui cet autre frère noir monté là-haut
Me fait sentir à nouveau le cœur gros
Quand donc les grands vont-ils enfin comprendre
Que des petits ils ont tout à apprendre
Pourquoi ont-ils ri quand il a levé la main
Est-ce parce qu'il ne voulait pas être l'un des sept nains
Ou est-ce parce qu'il n'était pas mon meilleur élève
Ou bien parce qu'il avait de grosses lèvres
BEAUTÉ ÉTERNELLE
C'était un soir de séminaire
Nous nous étions invités au restaurant
Dans nos yeux il y avait de la lumière
Et nos corps étaient de désir brûlants
Elle m'offrait la profondeur de son être
Mon regard se noyait dans ses yeux
Un grand amour était en train de naître
Et pourtant c'était déjà un adieu
Car ce moment de grâce
Totalement spontané et inattendu
Pour que dans nos cœurs jamais il ne s’efface
Nous ne devions pas en faire un début
C'était un cadeau de l'Existence
Nous devions préserver sa splendeur
Car c'était une indépassable expérience
Comme une unique délicate fleur
Qui ne pourrait jamais éclore
Hors de son éphémère jardin
Celui qui ne connaît pas le mot encore
Celui qui est à lui-même sa propre fin
Yeux dans les yeux dans une fusion sereine
Nous sommes restés ainsi longtemps
Et pourtant nous nous quittâmes sans peine
Car ce soir-là nous avions vécu ensemble mille ans
Mille ans de vie heureuse
Comme un accord parfait
Une joie si intense et si silencieuse
Qu'on savait que l'on ne pourrait jamais la retrouver
Mais ce souvenir serait comme un trésor intarissable
Dans lequel nous pourrions toujours puiser
Quels que seraient ensuite de nos vies les impondérables
Nous croirions toujours en notre éternelle beauté
ULTIME DÉCONFINEMENT
Tu es parti au cours d'un confinement
Un peu avant l'année nouvelle
Tu nous avais souvent dit pourtant
Qu' elle serait merveilleusement belle
Un matin on a appris que tu étais à l'hôpital
Et comme tu n'avais pas droit aux visites
Non seulement tu te sentais mal
Mais les douceurs de ce monde t’étaient interdites
Toi qui aimais tant être entouré des tiens
Tu as fini ta vie dans la solitude
Les soignants n'étaient jamais très loin
Mais eux aussi étaient dans une extrême lassitude
Ils ne pouvaient être toujours pour tous présents
Et quand nous avons entendu ton dernier message
Avant qu'on t'ensommeille définitivement
Nous avons été bouleversés par ton courage
Tu as même plaisanté sur ton prochain départ
Tu disais que c'était une formidable chance
De pouvoir enfin toi qui n'aimais pas les bavards
Entrer bientôt dans le plus profond des silences
Nous n'apprécions pas toujours ton sens de l'humour
Tu nous blessais parfois par maladresse
Et alors nous t'en voulions d'avoir été si lourd
Mais tu pouvais être aussi d'une exquise délicatesse
Quand tu ne pestais pas au sujet de l'Institution
La corruption la mauvaise foi l'imposture
Selon toi une menace de massive destruction
La conséquence d'une très libérale dictature
Aujourd'hui tu dirais sans doute que tu en es mort
Je ne sais pas si c'est la vérité ou une simple croyance
Mais ce que je crois c'est que tu ne méritais pas ce sort
Tu méritais une plus belle fin d'existence
Tu es parti au cours d'un confinement
Un peu avant l'année nouvelle
Tu nous avais souvent dit pourtant
Qu' elle serait merveilleusement belle
LA DAME DE LA RUE EST PARTIE
Nous avons tous deux été surpris
Quand la Dame d'en face est partie.
Elle est partie comme une étoile
Qui le matin devient pâle.
Et puis soudain on ne la voit plus,
De la rue elle a définitivement disparu,
Mais dans ce petit et solidaire espace,
Son souvenir restera longtemps vivace.
Son sourire et ses yeux pétillants
Dans nos cœurs resteront longtemps présents.
Sa beauté, son élégance, sa naturelle noblesse
S'alliaient gracieusement à une vraie gentillesse.
J'entends encore le son délicat de sa voix,
Je revois son regard doux comme de la soie.
Certes, elle savait maintenir ses distances,
Mais elle rayonnait aussi de bienveillance.
Devant son balcon les passants s'arrêtaient,
Car ils se sentaient toujours écoutés.
Sa hauteur était celle d'une belle âme
Et sa grandeur celle d'une belle Dame.
Les gens qui lui racontaient leur vie
La voyaient comme une véritable amie,
Ils lui faisaient même des confidences,
Car ils avaient en elle une totale confiance.
Aux nouveaux arrivés dans la rue
Elle souhaitait toujours la bienvenue.
Elle organisait et animait des rituelles fêtes
Avec la musique, la danse, les cris des mouettes...
Et quand il pleuvait c'était sous son toit
Qu'éclataient les chants de joie.
Sa nature à la fois passionnelle et maternelle
Nous délivrait de toute fausse tutelle.
Je me souviens de ces matins frisquets
Quand elle ouvrait prudemment ses volets,
Revêtue de sa robe de chambre rose
Comme une fragile fleur pas encore éclose.
C'était comme l'épiphanie d'un nouveau jour
De la Vie une déclaration d'amour.
Allégresse, enthousiasme ou bien tristesse,
Peu importe, c'était du Vivant la rassurante promesse !
Aujourd'hui nous sommes comme des orphelins
Qui ont perdu une trace vive de leur chemin,
Car elle faisait partie de notre familier paysage,
On n'imaginait pas qu'elle puisse un jour tourner la page.
Mais elle nous a tous surpris
En quittant cette vie sans préavis.
Au plus profond de notre mémoire,
Elle restera comme une inoubliable histoire.
AU REVOIR
Elle est partie comme elle est venue
Nous n'avions rien prévu
Ce fut un cadeau de l'existence
Pour une douce et éphémère présence
Nous lui avions donné tout notre amour
Hier aujourd'hui pour toujours
Nous savions que sa vie était fragile
Mais nous étions tranquilles
Nous lui donnerions de nous le meilleur
Ce qui vient directement du cœur
Et jusqu'à sa plus lointaine vieillesse
Elle pourrait compter sur notre tendresse
Elle le savait car c'est dans nos bras
Qu'elle a choisi une autre voie
Pour rester à jamais de nous proche
Pour être bien plus qu'une belle ébauche
Malgré la perte les larmes le chagrin
Elle nous a ouvert un nouveau chemin
C'est celui qui nous rassure
C'est celui de notre famille future
Elle nous rendra notre adoration
En assurant à jamais notre protection
Et nous n'effacerons jamais la trace
De celle qui fut pour nous une véritable grâce
Elle est partie comme elle est venue
Nous n'avions rien prévu
Ce fut un cadeau de l'existence
Pour une douce et éphémère présence
PRIVILÈGE
Le privilège de la vieillesse
Ce n'est pas la sagesse
Mais c'est la liberté d'aimer
Sans jamais s'attacher
C'est accepter l'impermanence
Être dans une discrète bienveillance
Voir et entendre avec amour
Sans rien attendre en retour
Le privilège du grand âge
Ce n'est pas de se préoccuper de son image
C'est celui de la joie
D'apprécier chaque geste chaque pas
Celui de ne pas réagir en urgence
Mais en une paisible jouissance
Prendre le temps de lentement déguster
Chaque instant de beauté
C'est ne pas jouer à l'ancêtre
Ne pas se soucier du paraître
Faire toujours le choix de ce qui est éternel
Sans pour autant espérer aller au ciel
Quand le corps devient fragile
L'âme devient tranquille
Plus on s'approche de la fin
Plus on aime et moins l'on craint
ÉTOILONS
Nous sommes tous des étoilons
Et nous ferons tous un jour le grand bond,
Celui qui nous ramènera à la Lumière
Qui est notre origine première.
Ce sera à l'Éternel le retour,
Le retour à notre vrai premier amour.
Nous sommes tous nés des étoiles
Et c'est en nous élevant tout droit à la verticale
Que nous retrouverons notre vraie maison,
Celle que dans la nuit nous apercevons,
Mais dont nous n'avons pas conscience
Qu'elle est notre véritable substance,
Sauf parfois quand nous prenons le temps
D'être au Mystère totalement présent.
Et alors, perdant de notre image la trace,
Nous agrandissons à l'Infini notre espace.
COLÈRE D'AMOUR
Ce que je te reproche ce n'est pas de m'avoir aimée
Car tu étais un amant doux et attentionné
Mais c'est de m'avoir aussi peu comprise
De personne avant toi je n'avais été aussi éprise
Ce que je ne puis accepter
Ce n'est pas que tu m'aies brusquement quittée
Je peux comprendre que mon très jeune âge
T'ait incité à tourner rapidement la page
Ce qui entretient ma déception ma colère mon chagrin
C'est que tu n'aies pas compris la nature de notre lien
Mon amour n'était pas d'une nature éphémère
Même s'il était parfois incendiaire
Je ne cessais au fond de moi de veiller sur toi
Je n'oubliais jamais quelle était ta voie
Mais toi tu m'as jugée trop fragile
Pour t'aider dans ce chemin difficile
Je savais que tu étais au bout de ton chemin
Pour moi cela aurait été le plus beau des destins
D'être celle qui t'accompagne jusqu’au seuil de cet ultime voyage
En écartant de ton ciel les derniers nuages
Mais tu t'es servi de moi comme d'une poupée
Qu'on aime déshabiller coucher et caresser
Et avec qui on ne peut rien construire
Sans risquer de gravement se nuire
Sais-tu qui vraiment je suis
Connais-tu le reste de ma vie
Je ne suis pas qu'une jolie femme
J'ai aussi un cœur un esprit une âme
Mais ce n'est pas l'image que tu avais de moi
Tu me percevais comme une maîtresse que l'on choie
Incapable de méditer sur le sens de l'existence
Ne pensant qu'aux plus charnelles jouissances
Aujourd'hui je ne peux que te haïr
Non seulement pour avoir réussi à nous désunir
Mais aussi pour m'avoir donné de moi une honteuse image
Celle d'une personne stupide égoïste et volage
Cela je ne peux te le pardonner
Pour moi c'est le plus mortel des péchés
Qui te fera regretter la délicatesse de mes prévenances
Quand tu mourras dans la plus solitaire des souffrances
SANS CONNAISSANCE
Quand elle m’invite dans son nid duveteux
Je plonge mon regard au fond de ses yeux
Entre les vagues d’amour brulantes
Et les postures faussement indécentes
Je me laisse bercer par le son de sa voix
En baisant sa peau de soie
J'effleure ses secrètes muqueuses
Avec une ferveur religieuse
Je laisse courir mes mains
Pour retrouver ses doux satins
Puis avec une trouble hardiesse
Je me laisse emporter par la tendresse
Est-ce cela l’amour de ma vie
Mon amour d’aujourd’hui
Celui dont la jouissance
Me donne la connaissance
La connaissance du Beau
Celle qui se passe de mots
Celle dont je fais l’expérience
Quand je l’aime en silence
Ce n’est pas que de la contemplation
C’est aussi de la passion
Ce n’est pas que de la sagesse
C’est aussi une folle ivresse
Car quand de mes yeux je la bois
De mes mains fébriles je la broie
C’est comme une miraculeuse grâce
Qui de moi ne laisse aucune trace
À la place je trouve un trésor
Qui n’est pas que l’intimité de son corps
C’est aussi la clarté de son visage
Qui prend tout mon être en otage
Je ne sais plus qui je suis
Quand elle me sourit
J’en perds la tête
Et jamais je ne me ré-entête
Cela ne dure qu’un moment
Et puis je redeviens son amant
Et puis encore à nouveau je m’élève
C’est un va-et-vient sans trêve
Qui finit par prendre fin
Quand il devient Un
Alors c’est le plus court des voyages
Celui qui ne se nourrit plus d’images
Mon être à son être se joint
Son cœur devient le mien
Nous perdons la conscience
De nos plus évidentes différences
C’est un déni d’anatomie
Mais pas un déni de vie
Plutôt une unique flamme
Le chant secret de l’âme
Qui s’élève vers le ciel
En se nourrissant du charnel
C’est une nouvelle renaissance
Qui me laisse sans connaissance