CHANTS ET POÈMES
POUR MIGRANTS ET AUTRES MAL-AIMÉS DE CE MONDE
Extraits des livres de Jean-Paul Inisan
(Reproductions autorisées avec mention de la source)
UN GEORGE À L'ÉCOLE
Pourquoi ont-ils ri quand il a levé la main
Est-ce parce qu'il ne voulait pas être l'un des sept nains
Ou est-ce parce qu'il n'était pas mon meilleur élève
Ou bien parce qu'il avait de grosses lèvres
Est-ce parce qu'il était si souriant
Que de tous les autres il paraissait si différent
Est-ce parce qu'il est venu au tableau si vite
Qu'on aurait presque dit une course-poursuite
Est-ce parce que d'habitude il n'osait pas
Et qu'en arrivant il a fait un faux-pas
Il ne paraissait pourtant pas fragile
Mais sa respiration était difficile
Est-ce à cause de la légère crépure de ses cheveux
Ou de la grande clarté de ses yeux
Qui me disait l'immense confiance
Qu'il plaçait dans ma bienveillance
Est-ce à cause de son nez
Qui était un peu écrasé
Ou parce qu'ils ont trouvé très drôle
Qu'un garçon veuille jouer d'une jeune fille le rôle
En tout cas aucun des enfants n'a eu l'air étonné
Personne dans la classe ne s'est moqué
Dans la beauté de leur innocence
Ils n' y ont vu que de l'excellence
J'étais jeune et c'est seulement dans la soirée
Que j'ai compris et que j'ai pleuré
De mes deux superviseurs et de moi j'ai eu honte
D'avoir choisi Blanche-Neige plutôt qu'un autre conte
Aujourd'hui cet autre frère noir monté là-haut
Me fait sentir à nouveau le cœur gros
Quand donc les grands vont-ils enfin comprendre
Que des petits ils ont tout à apprendre
Pourquoi ont-ils ri quand il a levé la main
Est-ce parce qu'il ne voulait pas être l'un des sept nains
Ou est-ce parce qu'il n'était pas mon meilleur élève
Ou bien parce qu'il avait de grosses lèvres
Jean-Paul Inisan, Traces de vies, Edmond Chemin, août 2023
***
SUZANNA DE MA RUE
Qu'es-tu devenue ô toi Suzanna
Toi qui faisais la manche devant le Columbia
Sans jamais mendier mais avec une vraie noblesse
Qui se mêlait étrangement à une humble gentillesse
Dans ton regard il y avait tant d'amour et de douceur
Que je te prenais presque pour ma grande sœur
Tu me faisais d'intimes confidences
Et j'étais touchée de ta confiance
Tu me révélais quelques-uns de tes secrets
Sans jamais totalement dévoiler
Le plus profond de ton âme
C'était entre nous c'était entre femmes
Toi qui vivais de rien dans la rue
Tu étais pourtant bien vêtue
Avec le même imper noir toujours impeccable
Tu étais d’une élégance véritable
Tes longs cheveux grisonnants chaque matin recoiffés
Soigneusement ramassés sous un fichu foncé
Et dans tes grands yeux sombres cette fiévreuse attente
Qui te donnait parfois un air de suppliante
Tu me racontas un peu ton passé
Celle d'une étrangère sans-papiers
Qui très tôt s'était trouvée dans la solitude
Mais avait refusé toute sollicitude
Tu me parlas de cet enfant qui aurait pu t'héberger
Mais qui lui aussi par la vie avait été blessé
Et il avait franchi le grand passage
Pour toi cela avait été un terrible naufrage
Au début tu nous proposais des petits journaux
Et on te donnait quelques euros
Beaucoup d’entre nous te faisaient la bise
Car ce n'était pas un échange de marchandises
C'était un simple remerciement
Pour ton regard toujours bienveillant
Pour faire partie de notre quotidien paysage
Comme une familière et rassurante image
Même ceux qui ne te voyaient pas
Tu ne leur en voulais pas
Mais tu étais d'une grande franchise
Aux plus forts tu ne t'étais jamais soumise
Chaque fois que je te quittais
Tu me souhaitais surtout une bonne santé
Et moi je pensais à toi à ta misère à ton âge
Je craignais que tu en meures ou qu’on te mette en cage
Aujourd'hui j''ai déménagé et tout ça est déjà loin
Mais je me demande souvent quel a été ton chemin
Es-tu toujours comme un oiseau sur la même branche
Ne la quittant que les jours fériés et le dimanche
J'ai parfois peur qu'on t'ait délogée ou même expulsée
Ou que tu sois morte de ne pas pouvoir te soigner
Je m'en veux alors de ne pas t'avoir donné plus de tendresse
De ne pas avoir mieux écouté ta secrète détresse
Qu'es-tu devenue ô toi Suzanna
Toi qui faisais la manche devant le Columbia
Sans jamais mendier mais avec une vraie noblesse
Qui se mêlait étrangement à une humble gentillesse
Jean-Paul Inisan, Traces de vies, Edmond Chemin, août 2023
***
PARDON
À vous peuples noirs qu’on a jadis déportés
Pardon pour nous être aussi vite pardonnés
Pardonner nous-mêmes les crimes de nos ancêtres
C'est presque à nouveau les permettre
Pardon pour avoir aussi vite oublié
Les enfants massacrés ou abandonnés
Les destructions et les razzias sauvages
Masquées par un romantique langage
Pardon pour l’horreur des transports
Où vous n'étiez que des corps
Des corps qu'on garantissait sans âme
Afin que les cœurs sensibles ne se pâment
Pardon pour les hurlements de terreur
Quand on enchaînait vos frères et vos sœurs
Pardon pour les blessures inguérissables
Qui vous rendaient dans la mer à peine jetables
Pardon pour vos rites et vos traditions
Vandalisés par nos religions
Pardon pour les ventes aux enchères
Au retour de nos glorieux corsaires
Pardon pour le déchirement des séparations
Les mutilations le sadisme des punitions
Pardon pour le travail épuisant sans salaire
Sans le moindre droit sauf celui de vous taire
Pardon de vous avoir logés comme des bestiaux
Se reproduisant comme des animaux
Et soignés même pas par des vétérinaires
Sans médecins sans hôpitaux et sans cimetières
Pardon pour cet immense camp de concentration
Auquel aujourd'hui personne ne veut donner ce nom
Parce que vous étiez une productive marchandise
Assurant gratuitement la rentabilité de nos entreprises
Pardon pour ce facile et factice enrichissement
Que nous devons à votre asservissement
Et qui vous ouvre droit à un légitime héritage
Qui dans l'Histoire traversera tous les âges
Pardon d'avoir fait de vous des martyrs oubliés
Qu'aucune église ne veut toujours sanctifier
Pardon pour mon impuissance
À vous donner cette reconnaissance
Pardon
Pardon
Pardon
Pardon
À vous peuples noirs qu’on a jadis déportés
Pardon pour nous être aussi vite pardonnés
Pardonner nous-mêmes les crimes de nos ancêtres
C'est presque à nouveau les permettre
Jean-Paul Inisan, Traces de vies, Edmond Chemin, août 2023
***
LUMIÈRE DE L'ÂME
Pardon, Maman, d'être partie
Sans t'avoir d'abord avertie,
Mais je n'ai pas choisi mon heure
Pour m'installer dans ma nouvelle demeure.
Je me suis retrouvée soudain ici,
Très loin de ma famille et de mes amis.
Bien sûr, c'est un lieu paisible et indestructible,
Où je ne serai plus jamais une anonyme cible.
Mais tout de même je suis partie trop tôt,
J'aurais voulu revoir notre maison au bord de l'eau,
Jouer et courir de nouveau sur la grande plage
Avec mon petit chien, faire de grands voyages.
J'aurais voulu connaître la fin de tous nos maux
Et apprendre enfin le vrai sens des mots.
J'aurais voulu avoir une gentille maîtresse
Qui m'aurait appris ce qu'est la sagesse.
Car c'est vrai que j'ai été une difficile enfant.
Malgré le danger nuit et jour présent
Je riais souvent comme une folle.
Bizarrement, cette vie me paraissait drôle !
Je sautais, criais, chantais et courais partout
Et tu devais souvent me panser les genoux.
Mais tu le faisais avec une telle délicatesse
Que tes gestes étaient comme des caresses.
Oui, Maman, je ne te le disais pas,
Tout l'amour que j'avais pour toi,
Mais c'est vrai que je n'étais pas un ange,
Ce n'était pas mon genre de faire des louanges.
Pour jouer je préférais les garçons.
Nous jouions à la guerre et au ballon,
Nous jouions à cache-cache
Entre les toiles et les grandes bâches.
Le premier qui me trouvait,
Je lui donnais un baiser
Et je détalais aussitôt comme une gazelle,
Rapide et légère, comme si j'avais des ailes.
Un jour, j'ai fini par m'envoler.
Un matin clair, quelque chose du ciel est tombé.
Il y a eu alors comme le fracas d'un énorme orage
Et j'ai changé brusquement de paysage.
D'ici je t'entends et je te vois très bien.
Je vois ton désespoir et ton chagrin,
Je vois les larmes couler sur ton beau visage.
J'espère que tu recevras ce message !
Maman, il te reste mes frères et mes sœurs.
Tu sais, ils restent présents dans mon cœur.
Je vous protégerai tous par l'infinie puissance
Que me donne mon nouveau lieu de résidence.
Jean-Paul Inisan, Traces de vies, Edmond Chemin, août 2023
(N.B. : L'auteur précise que le langage qu'il prête aux personnages s'exprimant par le moyen des poèmes ci-dessous, ne reflète pas nécessairement ses propres opinions. En particulier, certains de ces textes ont été écrits sur un mode satirique ou caricatural que, pour une juste lecture, il convient de ne pas oublier ou minimiser.)
MIGRATION PLANÉTAIRE
Nous les nomades et les migrants
Nous sommes de tous les temps
De toutes les histoires
Et de tous les territoires
On a toujours voulu nous empêcher
Chez les nantis de nous installer
Mais pour fuir la misère ou la guerre
Nous allons toujours vers les pays qui prospèrent
Quand les peuples ne sont pas heureux chez eux
Ils changent simplement de lieu
Ce n’est pas une folle aventure
C’est presque une loi de la nature
Il vous faut prendre de la hauteur
Et donc de la grandeur
Il vous faut prendre de la distance
Et ne pas réagir en urgence
Lutter contre les migrations
C’est aller contre la créatrice évolution
Ce n’est pas en mettant des barrières
Qu’on arrête ce qui de nature prolifère
Rien n’est jamais définitivement établi
C’est cela la loi de la vie
Demain vous adopterez toutes nos croyances
Et c’est nous qui assurerons votre descendance
Comme vous-même vous l’avez fait autrefois
En ne laissant aux indigènes aucun choix
Sauf celui d’un lent génocide
Ou celui d’une vie sordide
Nous ne sommes pas meilleurs que vous
S’il le faut nous vous mettrons à genoux
Les dominants toujours se dépravent
Et finissent par devenir des esclaves
Alors afin d’économiser de l’énergie et du sang
Ne pourrions-nous pas aujourd’hui faire autrement
Au lieu de renforcer en vain les frontières
Trouver enfin une solution planétaire
Pour que l’humanité atteigne son âge de raison
Ensemble nous pouvons organiser une juste redistribution
Mais si nous acceptons d’un côté l’abondance
Et de l’autre côté une extrême indigence
Les migrants continueront à vous envahir
Et vous continuerez de plus en plus à les haïr
Il n’y a pas d’autre issue à cette lutte fatale
Sauf la déflagration finale
***
PRIÈRE
Quand je me prosterne cinq fois par jour
Je ne regarde pas alentour
Je perds la notion de l’espace
Quand sur le sol je pose ma face
Alors toi seul mon Dieu est présent
De la tête aux pieds je me tends
Comme du violon la corde
Pour implorer ta miséricorde
Mon dieu accorde-moi la grâce
D’agrandir toujours mon espace
Et ainsi à toi complètement soumis
Je sens que ce n’est pas moi que tu bénis
Celui que tu bénis est en train de disparaître
Par la main même de son divin maître
Reconnaissant son niveau
Il devient l’égal du zéro
Et alors il n’y a plus de distance
Entre l’immanent et ta transcendance
Mon dieu accorde-moi le temps
D’être toujours à toi présent
C’est une communion de type vertical
Ce n’est pas un édifice pyramidal
C’est comme une secrète cellule
Au fond il y a quelque chose qui brûle
Face à toi je suis aveugle je ne vois rien
Mais tu me prends la main
Et je m’abandonne à ta guidance
Car illimitée est ta puissance
Mon dieu donne-moi ta main
Pour aller toujours plus loin
Et éternelle est ta protection
Pour ceux qui font preuve de vénération
Ils sont invulnérables
Face aux pires impondérables
Ceux qui manifestent leur foi
Ils seront un jour près de toi
C’est le coeur rempli d’allégresse
Qu’ils recevront ton infinie tendresse
Mon dieu accorde-moi la foi
Pour être toujours auprès de toi
En toi jusqu’au bout ils auront cru
Et de toi ils auront tout reçu
Mais moi je suis encore trop indocile
J’incline lourdement mon dos de reptile
Je l’incline cinq fois par jour
En n’espérant rien en retour
Sauf de te plaire
Et plus si c’est nécessaire
Mon dieu accorde-moi la grâce
D’agrandir toujours ton espace
***
ICI RIEN QUI ME VOILE
Ici il n’y a rien qui me voile
Ici je n’ai aucune pudeur
Car ici tout est intérieur
Ici de tous je suis l’égale
Si l’’ombre qui me recouvre
Me permet de voir mieux
Ce qui devant moi est lumineux
C’est parce que je sais où je me trouve
Et si je cache mon visage
C’est parce que je ne peux être regardée
Sans devenir pour moi un objet
Je ne suis pas une image
Ici il n’y a rien qui me voile
Ici je n’ai aucune pudeur
Car ici tout est intérieur
Ici de tous je suis l’égale
Je ne suis pas qu’une servante
Sous une apparence de soumission
Je vis tout avec passion
Ici je me sens indépendante
Car je me sens indéfinissable
Avec des sentiments constants
Mais aussi des rêves violents
Des miens je suis responsable
C’est une liberté qui est sans tutelle
De ne pas chercher les honneurs
Tout en donnant de soi le meilleur
Par une dévotion toute maternelle
Ici il n’y a rien qui me voile
Ici je n’ai aucune pudeur
Car ici tout est intérieur
Ici de tous je suis l’égale
Dans cette grande famille
Où il n’y a qu’un seul corps
Où tout est dedans rien dehors
Jamais je ne me déshabille
Car celui à qui je me dévoile
Me connaît profondément
Il ne voit pas que ce qui est apparent
Il a en moi une confiance totale
Pour assurer sa descendance
Mais aussi pour avec les autres partager
Être dans la joie et dans l’amitié
Dans une commune existence
Ici il n’y a rien qui me voile
Ici je n’ai aucune pudeur
Car ici tout est intérieur
Ici de tous je suis l’égale
Croire aux mêmes choses
Partager le même lieu
Vénérer le même dieu
Qu’y a-t-il donc de plus grandiose
Pourquoi donc il vous dérange
Cet innocent tissu
Dont je suis depuis toujours revêtue
Que voudriez-vous donc me donner en échange
Je serais une prisonnière
Et vous voudriez me donner des droits
Par exemple celui d’avoir froid
De ne plus avoir de vie communautaire
Ici il n’y a rien qui me voile
Ici je n’ai aucune pudeur
Car ici tout est intérieur
Ici de tous je suis l’égale
Et de nombreux autres avantages
Comme celui de tout manger
Et de ne rien partager
Celui de rester seule à un grand âge
De ne croire en rien qu’en ma personne
D’exciter des hommes le désir
Vous voudriez qu’au goût du plaisir
Passionnément comme vous je m’adonne
Que je dévoile ma face
Pour que vous puissiez m’étiqueter
Comme faisant partie des gens évolués
Et qu’ainsi je perde de la liberté mon espace
Ici il n’y a rien qui me voile
Ici je n’ai aucune pudeur
Car ici tout est intérieur
Ici de tous je suis l’égale
Mais je pardonne à votre ignorance
Car vous ne pouvez savoir où je vis
Vous ne pouvez savoir quel est ce lieu béni
Vous vous fiez trop aux apparences
Ici où je vis il n’y a pas de frontières
C’est une permanente expansion
Largement ouverte à toutes les abnégations
Mais je ne perds jamais mes repères
Je suis paisible et heureuse
Dans cette grande maison
Qui est depuis toujours mon horizon
Invisible et silencieuse
Ici il n’y a rien qui me voile
Ici je n’ai aucune pudeur
Car ici tout est intérieur
Ici de tous je suis l’égale
***
BANDE
Les bandes ont envahi les beaux quartiers
Et elles sont en train de tout casser
Sur tout elles font main basse
Partout elles laissent des traces
Elles emportent leur butin
Et personne n'y peut rien
Les forces de police font minables
À côté de ce raz-de-marée formidable
On casse tout
On prend tout
Que voulez-vous y faire
Messieurs les propriétaires
Fermez les yeux
Pour vous ce sera mieux
Ça vous fera moins de peine
De ne pas voir notre haine
Ne nous tournez pas le dos
Et vous nous trouverez beaux
Vous supporterez mieux notre existence
En voyant notre jouissance
On vous fera le meilleur prix
Pour le plus cher des produits
Celui que vous n'avez pas dans vos rayonnages
Et qui s'appelle le courage
Il a un goût de sel et de sang
Celui délicieux des résistants
Nous résistons à la crise
En nous offrant votre marchandise
Faute de nous la donner
On la prend là où elle est
Nous n'avons pas d'états d'âme
Même quand les voitures s'enflamment
On casse tout
On prend tout
Que voulez-vous y faire
Messieurs les propriétaires
Fermez les yeux
Pour vous ce sera mieux
Ça vous fera moins de peine
De ne pas voir notre haine
Ne nous tournez pas le dos
Et vous nous trouverez beaux
Vous supporterez mieux notre existence
En ne voyant que notre apparence
Les larmes dans vos yeux
Ça nous rend très heureux
Nous vous trouvons comiques
D'être aussi mécaniques
Ne vous excusez pas de nous faire jouir
Car c'est un plaisir de vous faire souffrir
C'est plus qu'une vengeance
C'est une interdépendance
Nous ne faisons qu'entretenir l'égalité
Entre la richesse et la pauvreté
C'est un heureux partage
Que de partager les héritages
On casse tout
On prend tout
Que voulez-vous y faire
Messieurs les propriétaires
Fermez les yeux
Pour vous ce sera mieux
Ça vous fera moins de peine
De ne pas voir notre haine
Ne nous tournez pas le dos
Et vous nous trouverez beaux
Vous supporterez mieux notre existence
En participant à notre transe
Celui qui a été par le hasard avantagé
N'est pas vraiment volé
C'est aussi par le hasard qu'on le ponctionne
C'est ainsi que la nature fonctionne
Nous ne faisons que dévoiler
Ce qu'à vous-même vous cachez
Vous distribuez les mauvais rôles
À ceux qui n'ont pas la belle parole
Même ces quelques mots
Vous direz que c'est trop
Si vous ne pouvez appliquer la censure
Vous engagerez des procédures
On casse tout
On prend tout
Que voulez-vous y faire
Messieurs les propriétaires
Fermez les yeux
Pour vous ce sera mieux
Ça vous fera moins de peine
De ne pas voir notre haine
Ne nous tournez pas le dos
Et vous nous trouverez beaux
Vous supporterez mieux notre existence
En voyant comme elle danse
Pour ne pas entendre la vérité
Vous êtes prêts à m'arrêter
Mais si vous me mettez dans une cage
Je diffuserai quand même mon message
Le monde sera comme un immense écho
Ce qui est interdit paraît toujours plus beau
Plus il est indicible
Et plus il paraît crédible
Bientôt de vous il ne restera plus rien
Qu'une sorte de grand magasin
Et dans ce petit espace
Vous vivrez dans l'angoisse
Obsédés par la sécurité
Rien ne pourra vous rassurer
Mais nous vous laisserons toujours le nécessaire
Pour continuer à entretenir notre vie parasitaire
On casse tout
On prend tout
Que voulez-vous y faire
Messieurs les propriétaires
Fermez les yeux
Pour vous ce sera mieux
Ça vous fera moins de peine
De ne pas voir notre haine
Tournez-nous le dos
Et nous vous ferons un cadeau
Vous supporterez mieux notre existence
En sentant en vous notre violence
***
JE SUIS NOIR
Oui je sais tu ne peux pas me voir
Tellement je suis noir
Tu as presque honte
Quand tu me rencontres
Pour toi je suis presque un zombie
Et tu me fuis
Comme une bête sauvage
Qui se serait enfuie de sa cage
Ainsi tu ne peux m’aborder
Sans être par la peur glacé
Tu gardes la distance
Pour éviter toute interférence
Dans le noir il n’y a rien d’humain
C’est la couleur du malin
Celle de l’inconscience
Tout le contraire de celui qui bien pense
Moi-même je ne sais plus me définir
Et je finis presque par haïr
La sombre image
De mon différent visage
Mon visage dans le miroir
Est loin de ceux que je vois sur les trottoirs
Et quand j’oublie la couleur de ma figure
Il y a toujours quelqu’un pour me rappeler ma nature
Ma peau n’est pas masquée
Rien à faire pour la cacher
À la fin je me résigne
D’être aussi indigne
Et même je joue leur jeu
Je deviens irrespectueux
Je joue le rôle
De celui qui n’est jamais allé à l’école
Heureusement il y a les miens
Nous unissons nos chemins
Nous nous écartons de votre route
Pour effacer ensemble nos doutes
Dans la nuit nous nous reconnaissons
Nous avons tous les yeux ronds
Et le reste est dans la transparence
Sauf le cœur qui bat la même cadence
Bien sûr il y a toujours des renégats
Qui renient ce qui est leur voie
Nous les voyons avec tristesse
Oublier ce qui fait leur noblesse
Ils veulent se faire un visage blanc
Et se croire de nous très différents
En s’enduisant du beau cirage
D’un distingué entourage
Mais on ne peut oublier ainsi son sang
Il leur rappelle quel est leur vrai rang
Il bouillonne soudain sans préliminaire
Et leur rappelle de quoi ils sont originaires
Leur origine est dans le feu qui règne ici
De ce côté ci de la nuit
Du côté du chant et de la danse
Du rythme et de la turbulence
Elle n’est pas du côté du convenu et du renié
Elle est du côté du naturel et du spontané
Elle n’est pas du côté des automates
Elle est du côté de ceux qui s’éclatent
Même si parfois c’est violent
C’est toujours jouissant
Nous sommes faits pour être nous-mêmes
Et tant pis si aucun de vous ne nous aime
***
AU BOUT DE LA NUIT
Au loin j’entends crier les chiens
Je cours sur les chemins
Le long des clôtures
Dans la nuit obscure
Ma blessure me fait de plus en plus mal
Et il fait un froid glacial
Je voudrais bien me rendre
Mais ils vont vouloir tout comprendre
Pas parce que je suis un beur
Mais parce que je suis un voleur
Il n’y a jamais trop de remèdes
Pour guérir celui qui les dépossède
Serre les dents Ali
Ne te laisse pas con-descendre
Ah ici tu n’as pas d’amis Ali
Mais tu as du cœur à en revendre
Ils ne sont pas meilleurs que moi
Mais eux c’est ce qu’ils croient
Je sens le sang qui dans mon dos coule
J’ai l’impression que ça me saoule
Mais je n’arrête plus de courir
Plutôt trois fois mourir
Que de retomber entre leurs pattes
Et qu’ils me traitent comme un psychopathe
Ils m’amèneraient chez un médecin
Après m’avoir attaché les mains
De leur gentillesse
Je m’en bats les fesses
Serre les dents Ali
Ne te laisse pas con- descendre
Ah ici tu n’as pas d’amis Ali
Mais tu as du cœur à en revendre
Je préfère être leur ennemi
Que de leur paraître soumis
Je préfère mon vagabondage
À leur marchandage
Je préfère mes trafics
À leur service public
Mais je me suis engagé dans une impasse
Je dois leur faire face
Je sors mon couteau
Ça ne va pas être beau
Je hais ces visages
Je vais faire un carnage
Serre les dents Ali
Ne te laisse pas con-descendre
Ah ici tu n’as pas d’amis Ali
Mais tu as du cœur à en revendre
Mais je n’entends plus rien
Se seraient-ils trompés de chemin
Je sens comme une ivresse
Je tombe de faiblesse
J’entends des cris autour de moi
Toute une foule s’occupe de moi
Ils ont retrouvé ma piste
Et c’est en vain que je résiste
Mais ils n’ont pas vu mon coutelas
Je l’ai caché sous mon bras
C’est au fond de l’ambulance
Que viendra ma délivrance
Serre les dents Ali
Ne te laisse pas con- descendre
Ah ici tu n’as pas d’amis Ali
Mais tu as du cœur à en revendre
***
DIFFÉRENT
Oui je sais je viens d’ailleurs
Et je sais que ce qui vous fait peur
Ce n’est pas ma prétendue violence
Mais c’est ma réelle différence
C’est vrai que ce que vous êtes aujourd’hui
Vous l’avez bravement conquis
Et alors ma seule présence
A pour vous une odeur de décadence
Mais je ne viens pas pour vous tuer
Mais je ne viens pas pour vous voler
Je viens pour changer de paysage
Je viens pour changer d’âge
Ce qui vous appartient
Est pour vous le plus sacré des liens
Mais celui qui n’a pas d’attache
Faut-il qu’au visage on lui crache
Toutes ces idées
Que vous avez capitalisées
Et dont vous vous croyez propriétaires
Que vous soyez nantis ou prolétaires
Mais je ne viens pas pour vous tuer
Mais je ne viens pas pour vous voler
Je viens pour changer d’éclairage
Je viens pour changer de personnage
Toutes ces idées plus que de vos nombreux biens
Vous lient le cœur et les mains
Vos plus précieuses croyances
Sont celles qui vous font croire à votre importance
Il est vrai que lorsque je squatte votre maison
Vous me donnez parfois raison
À condition que ce ne soit pas la vôtre
Mais celle d’un autre
Mais je ne viens pas pour vous aimer
Mais je ne viens pas pour vous détester
Je viens pour changer de voisinage
Je viens pour changer de rivage
Au chaud dans votre confort
Vous ne pensez jamais à la mort
L’enfant qui meurt dans la froideur crépusculaire
N’est pour vous qu’un risque identitaire
En repoussant les exilés
C’est votre monde que vous rétrécissez
Et ce qui n’est pas transformable
N’est que par la violence périssable
Mais je ne viens pas pour vous aimer
Mais je ne viens pas pour vous ressembler
Je viens pour changer de village
Je viens pour changer d’ancrage
N’avez-vous donc pas compris
Que nous ne sommes pas vos ennemis
Que ce sont les frontières
Qui entretiennent la guerre
Ce pour quoi vous avez combattu
Ce pour quoi vous vous êtes défendus
Ce qui est écrit dans vos livres
Ce qui vous a permis de survivre
Mais je ne viens pas pour vous imiter
Mais je ne viens pas pour vous diminuer
Je viens pour tourner une page
Je viens pour changer d'héritage
La liberté et l’égalité
Ne sont-elles pas pour toute l’humanité
Quelles que soient les personnes
Ou ne sont-elles que des idées bouffonnes
Si de vous je suis différent
J’ai les mêmes droits cependant
Ce sont ceux de tous ceux qui pensent
Et cela ne se limite pas à la France
Mais je ne viens pas pour être aimé
Je ne viens pas pour vous voler
Je viens pour changer de paysage
Je viens pour changer d’âge
***
ENFANTS D'ISRAËL
Vous les enfants assassinés d’Israël
Vous n’êtes pas morts dans un grand hôtel
Pour vous pas de première classe
Vous avez été pris comme des poissons dans une nasse
Brillants en surface ou sombres dans les bas-fonds
Vous avez tous été entassés dans le même wagon
Banquiers patrons ou prolétaires
Enfants bébés adultes pères et mères
Le destin vous a tous faits égaux
Pas besoin de le justifier avec des mots
La souffrance est très démocratique
Quand elle n’est plus que statistique
Mais moi je vous ai vus entrer tremblants
Et je n’ai entendu ni cris ni gémissements
Vous étiez de ceux qui jamais ne se battent
Et se laissent lentement abattre
J’ai vu des yeux qui saignaient
De ne pas pouvoir pleurer
Et sur la blancheur de l’innocence
S’abattre une hideuse violence
Ce n’était ni animal ni humain
Ce n’était ni le mal ni le bien
C’était mécanique
C’était arithmétique
Vous vous souteniez avec une douce discrétion
Pour ne pas faire de la provocation
Afin de préserver votre espérance
Malgré votre totale impuissance
Et c’est vrai que malgré les trahisons
Il n’y a pas eu de désunion
Vous vous accrochiez à la divine parole
À l’image de l’agneau que Dieu immole
Il vous arrivait même de chanter
Et votre ferveur me bouleversait
Ces accents si charnels dans la dernière prière
Étaient pour moi un vrai mystère
Moi je ne croyais pas en Dieu
Mais il y avait quelque chose dans vos yeux
Qui était sur mon cœur comme une insoutenable brûlure
Qui transperçait ma coutumière armure
C’était comme au plus profond de la nuit
Une folle flamme qui luit
Et elle éclairait les visages
Les élevait au-dessus du noir paysage
Les corps sont tombés par milliers
Mais les voix sont restées
Elles me reviennent sans cesse à la mémoire
Comme des lointains chants incantatoires
***
PLUS JAMAIS ÇA
Pouvez-vous comprendre cela
Plus jamais ça
Pour ceux qui ont aujourd’hui une belle existence
Il n’est pas facile de comprendre notre inguérissable souffrance
Oui bien sûr vous pouvez la penser
Peut-être même l’imaginer
Mais ressentir les plus atroces blessures
Et hurler sous la torture
Ce n’est pas un brillant discours
Sur la haine et sur l’amour
Quand vous ne pouvez plus être dans le paraître
Parce que vous devenez à vous-même le traître
Que vous êtes prêts à faire le chien
Pour qu’on ne mutile plus les siens
Que deviennent donc votre belle tolérance
Et votre admirable intelligence
Alors il ne reste que ça
Plus jamais ça
Ne plus jamais être fragile
Ne plus jamais être docile
Et même au risque de paraître fou
Rendre plus que coup pour coup
Et que le monde autour de nous saigne
Pour qu’enfin il nous craigne
Le temps de la soumission est passé
Le martyre nous a légitimés
Comme le peuple de l’espérance
Le peuple de la transcendance
Nous conformant à l’enseignement divin
Nous assumons aujourd’hui notre destin
Nous sommes installés sur nos traces
Nous avons retrouvé notre espace
C’est celui qui nous était promis
Cela était depuis toujours écrit
Nous irons vers toujours plus d’abondance
Et en assurerons contre tous la défense
C’était écrit plus rien ne nous arrêtera
Nous avons été choisis pour montrer la voie
Celle de la lumière éternelle
Celle de la vérité la plus essentielle
Nous sommes l’instrument de Dieu
Pour accomplir tous ses vœux
Nous serons sans indulgence
Pour ceux qui emploient contre nous la violence
Plus jamais ça
Nous ne serons plus jamais des parias
Mais honorant enfin notre noblesse
Nous accomplirons tous ensemble la grande promesse
***
MARAUDEURS
Être sacré le meilleur des voleurs
Serait pour moi le plus grand des honneurs
Pourtant je ne vole pas des fortunes
Seulement des choses très communes
Je le fais le plus souvent la nuit
Sans faire le moindre bruit
À aucune porte je ne sonne
Ainsi je ne dérange personne
C’est pour mieux respecter de chacun le sommeil
Que je suis de mes parents les conseils
Ne prends que ce qui ne les empêchera pas de vivre
Ainsi ils n’auront pas le temps de te poursuivre
Et n’oublie pas de remercier Dieu
C’est lui qui te fait changer si souvent de lieu
Quand la demeure est mobile
Alors le coeur est tranquille
Tu n’es pas fait pour t’attacher
Tu es fait pour aimer
Tu es fait pour le voyage
Pas pour être enfermé dans une cage
Le plus grand des bonheurs
C’est d’être en famille des rôdeurs
Ici il n’y a rien à dire
À celui qui ne sait pas lire
Mais nous lisons dans leurs mains
De quoi sera fait leur destin
Pas besoin d’être un apôtre
Pour savoir qu’il ne sera pas meilleur que le nôtre
Assises sur les trottoirs
Du matin jusqu’au soir
Ils prennent nos femmes pour des débiles
Avec leurs faux airs serviles
Certains veulent nous aider
Ils prétendent nous écouter
Peut-être même nous comprendre
Mais ils ne peuvent pas nous entendre
Car nous ne leur disons pas tout
Ce que nous leur disons est plein de trous
Nous nous moquons de leurs interrogatoires
En racontant toujours les mêmes histoires
Beaucoup ressentent de la répulsion
Ils souhaitent notre expulsion
Ils nous accusent de pillage
Et de lamentables saccages
Ils nous accusent d’être des vauriens
De vivre comme des chiens
Ils sortent même leurs fusils de chasse
Avec lesquels ils nous menacent
Mais moi quand je m’introduis dans votre maison
Je ne trouve pas qu’elle ne sent pas bon
Je lui trouve même beaucoup de charmes
Et c’est pourquoi j’y entre toujours sans armes
Je sais que c’est risqué
Car vous vous n’hésiteriez pas à me tuer
Quand vous vous sentez victime
Votre supériorité n’’est jamais aussi légitime
C’est pourquoi je suis très prudent
Chez vous je rentre invisiblement
Et ce que je laisse comme trace
C’est de vous avoir fait plus d’espace
Je ne fais que changer de propriété
À des meubles des ustensiles des objets
Vous vous le vivez comme une grave injustice
Mais en réalité ce n’est même pas un préjudice
Ce n’est qu’une simple redistribution
À la marge votre généreuse contribution
Mais vous contre nous vous voulez entrer en guerre
Ou nous envoyer vos meilleurs missionnaires
Vous voulez soit nous détruire soit nous convertir
Mais surtout pas nous accueillir
Ce peuple qui jamais ne travaille
Et que vous appelez la racaille
Pourtant en vous allégeant de vos biens
Nous vous faisons un environnement plus sain
Pour que pure reste l’élite
Il lui faut des parasites
Nous vous nettoyons que du superflu
Afin que vous ne soyez pas corrompus
C’est à nous que revient la tâche
De vous préserver de basses attaches
Après le passage des gueux
Vous vous sentez plus valeureux
C’est quand on frôle la misère
Que l’on se sent le plus prospère
On ne peut rien donner aux voleurs
Sans leur provoquer un haut-le-coeur
Mais d’une juste intolérance
Ils vous remercient d’avance
***
LA NÉGRESSE
Oui c'est vrai quand on a voulu m’expulser
Vous m'avez manifesté de la reconnaissance
Je ne me suis pas sentie abandonnée
Vous avez été nombreux à prendre ma défense
Il y a eu des pétitions des manifestations
Des discours des réunions des messages
Et je me sentais touchée par votre considération
Je me sentais entourée dans ce mauvais passage
Pourtant je n'ai pas pu vous dire merci
Et certains m'ont reproché mon ingratitude
Quelques-uns ont même de moi médit
Ils ont dit que c'était une honteuse attitude
Oui c'est vrai quand on a voulu m’expulser
Vous m'avez manifesté de la reconnaissance
Je ne me suis pas sentie abandonnée
Vous avez été nombreux à prendre ma défense
Mais c'était malgré moi je n'y pouvais rien
Je ressentais de la tristesse
Alors que j'aurais dû être pleine d'entrain
Je ressentais presque de la détresse
Je ne savais trop pourquoi
Je me disais que j'étais peut-être trop fière
Pour apprécier qu'on ait fait exception à la loi
Pour une personne très ordinaire
Oui c'est vrai quand on a voulu m’expulser
Vous m'avez manifesté de la reconnaissance
Je ne me suis pas sentie abandonnée
Vous avez été nombreux à prendre ma défense
Mais en vérité mon profil n'est pas si commun
Je suis née de noble origine
Pas fille de roi mais d'un peuple magicien
Qui mêle sorcellerie et médecine
Car pourquoi donc ai-je ainsi répondu
Cela n'était-il pas une juste réminiscence
Le souvenir soudain d'où je suis venue
Mon auguste lieu de naissance
Oui c'est vrai quand on a voulu m’expulser
Vous m'avez manifesté de la reconnaissance
Je ne me suis pas sentie abandonnée
Vous avez été nombreux à prendre ma défense
C'était sur un haut plateau
Et il y avait beaucoup de monde
Ils n'étaient ni grands ni beaux
Mais leur joie était féconde
Pour eux ce n'était pas un jeu
Quand ils dansaient déjà mon existence
Ouvrant grand les bras vers les cieux
Sans faire pour autant à la terre offense
Oui c'est vrai quand on a voulu m’expulser
Vous m'avez manifesté de la reconnaissance
Je ne me suis pas sentie abandonnée
Vous avez été nombreux à prendre ma défense
Ils frappaient la terre de leurs pieds
Et il en sortait comme un nuage
Un nuage blanc transparent et léger
Qui dessinait dans le ciel comme un message
Il annonçait un événement glorieux
Accompagné de chants incantatoires
Sur des rythmes fougueux
Le début de mon histoire
Oui c'est vrai quand on a voulu m’expulser
Vous m'avez manifesté de la reconnaissance
Je ne me suis pas sentie abandonnée
Vous avez été nombreux à prendre ma défense
Et j'ai senti en moi la vie
Comme la source prodigieuse
De tous mes désirs de tous mes appétits
Comme une bienfaitrice généreuse
Dès en naissant j'avais tous les droits
C'est pourquoi je n'ai pas ressenti de reconnaissance
On n'a fait que me rendre ce qui était à moi
On me l'avait pris sans que j'en prenne conscience
Oui c'est vrai quand on a voulu m’expulser
Vous m'avez manifesté de la reconnaissance
Je ne me suis pas sentie abandonnée
Vous avez été nombreux à prendre ma défense
Vous m’avez dit que sur terre tous les humains sont
égaux
Et vous me l’avez expliqué avec vos mots
Mais moi je ne me suis pas sentie votre égale
Je n’étais pas assez pâle
Aujourd'hui je sais pourquoi on voulait que je reste ici
C'est parce que je possède un titre de noblesse
Qui a lui seul dit l'immensité de ce que je suis
Il est comme un cri qui jamais ne finit
La Négresse
Oui c'est vrai quand on a voulu m’expulser
Vous m'avez manifesté de la reconnaissance
Je ne me suis pas sentie abandonnée
Vous avez été nombreux à prendre ma défense
***
LA QUÊTE (1 extrait)
Des enfants perdus en guenilles
Couchés ou assis sur le chemin
Tendent vers moi leurs mains
Leurs grands yeux fiévreux brillent
Leurs bouches tremblantes me questionnent
Je ressens pour eux de la pitié
Je ne voudrais pas leur faire la charité
Je voudrais qu’ils deviennent des hommes
Mais il faut répondre à l’urgence
Car la faim n’a qu’une loi
Celle qui ne laisse qu’un choix
La mort ou la survivance
Face à cette extrême faiblesse
A ces tout petits corps
Qui constituent ici un simple décor
Je ressens de la détresse
Des enfants perdus en guenilles
Couchés ou assis sur le chemin
Tendent vers moi leurs mains
Leurs grands yeux fiévreux brillent
Je ne parviens pas à garder la distance
J’ai beau me dire sans cesse que je ne suis pas eux
Que je suis un homme riche et heureux
Je ressens leur extrême souffrance
[...]
***
RACAILLE (2 extraits)
C’est vrai que nous ne savons rien faire
Sauf voler ou casser
Ce dont nous ne sommes pas propriétaires
Ce dont nous nous sentons privés
Pour nous c’est plus qu’une jouissance
C’est plus qu’un jeu dangereux
C’est aussi la juste vengeance
Des exclus des étrangers des gueux
On nous appelle la racaille
Mais à chacun sa manière d’être voyou
Nous on ne nous donnera pas de médailles
Pour faire croire qu’on est au-dessus de tout
Pour nous pas de défense légitime
Nous n’avons droit à rien
Et sommes accusés de tous les crimes
Nous sommes dans ce monde les vilains
[...]
Nous sommes du côté des zones
Ici dans notre pays
Loin des saintes madones
Bien à l’abri
Loin d’une fausse justice
Appliquant nos propres lois
Tous ici complices
Pour faire respecter notre droit
Le droit au trafic et au piratage
Ici ce n’est pas un délit
Ici c’est un banal usage
Une pratique millénaire établie
C’est vrai que nous ne savons rien faire
Sauf voler ou casser
Ce dont nous ne sommes pas propriétaires
Ce dont nous nous sentons privés
[...]
***
AU SECOURS ON M’A VOLÉ MA CARTE BANCAIRE
Au secours on m’a volé ma carte bancaire
Au secours on m’a volé six-cent euros
Je suis dans une extrême colère
Je ne me pardonnerai jamais d’avoir été aussi sot
Mais j’ai crié avec tant de violence
Que la foule alertée a encerclé les voleurs
Ce sont deux jeunes au regard plein d’insolence
Deux étrangers qui se débattent avec ardeur
Mais la police arrive déjà et elle les menotte
Au poste ils ont l’air perdus
La fille presque sanglote
Le garçon paraît très ému
Au secours on m’a volé ma carte bancaire
Au secours on m’a volé six-cent euros
Mais je ne me suis pas laissé faire
Et maintenant je suis penaud
Je ne sais plus que faire
Il y a eu plusieurs témoins
Impossible de revenir en arrière
Je ne me sens pas bien
Les policiers sans douceur les questionnent
Mais ils ne répondent pas
Il semblerait que la peur les bâillonne
À moins que simplement ils ne comprennent pas
Au secours on m’a volé ma carte bancaire
Au secours on m’a volé six-cent euros
C’est la faute à la misère
Je ne me sens vraiment pas beau
Ils ne comprennent pas notre langage
Mais pour les policiers ce ne sont pas des nouveaux
Ils me montrent des photos de leurs visages
Ça leur fait des têtes de salauds
C’est plus que de la récidive
C’est leur gagne-pain quotidien
C’est ainsi qu’ils survivent
En volant leur prochain
Au secours on m’a volé ma carte bancaire
Au secours on a volé six-cent euros
Je suis dans une extrême colère
Je ne me pardonnerai jamais d’avoir été aussi idiot
Ils ont la grâce des êtres sauvages
Et aussi leur cruauté
Je ne parviens à faire le partage
Je voudrais pouvoir m’en aller
Quand même ce ne sont pas des voleurs de pomme
Les policiers les ont fouillés
Et ils sont en train de compter la somme
Il y en a bien moins que ce qu’ils m’ont dérobé
Au secours on m’a volé ma carte bancaire
Au secours on m’a volé six-cent euros
Je suis dans une extrême colère
Je ne me pardonnerai jamais d’avoir été aussi ballot
Ils devaient avoir des complices
Je ne peux plus retenir mon indignation
Trop grave est mon préjudice
Je suis pour la plus sévère punition
Sinon il n’y aurait plus de justice
Il faut dissuader ces voyous
De s’adonner à nouveau à leur vice
Leur en inculquer pour toujours le dégoût
Au secours on m’a volé ma carte bancaire
Au secours on m’a volé six-cent euros
Il faut leur donner une leçon exemplaire
Jusqu’à leur blanchir la peau
Cela m’apaise un peu d’imaginer leur souffrance
S’ils ne peuvent me rembourser
Ils méritent ma vengeance
Et même j’en rajouterai
Je dirai qu’ils avaient une arme blanche
Qu’ils en ont posé la lame sur mon cou
En me menaçant de me couper en tranches
Et qu’ils m’ont donné de mauvais coups
Au secours on m’a volé ma carte bancaire
Au secours on m’a volé six-cent euros
Je suis dans une extrême colère
Et violents vont être mes mots
Cela aggravera leur peine
Ah ah ils ne sont pas près de s’en sortir
Grâce à ma juste haine
En prison ils vont longtemps croupir
C’est ce que cette engeance mérite
On ne peut pas se laisser dépouiller
Par ces impitoyables parasites
La propriété c’est la sécurité
Au secours on m’a volé ma carte bancaire
Au secours on m’a volé six-cent euros
Ma colère est meurtrière
Je ne ferai pas de cadeau
Ah ils ont retrouvé ma carte bancaire
Et même mon argent
Cela fait tomber ma colère
Je suis trop content
Je ne me sens plus être une victime
Alors je redeviens tolérant
Je ne veux plus qu’on les réprime
Mais qu’on leur donne du temps
Au secours on m’a volé ma carte bancaire
Au secours on m’a volé six-cent euros
Mais ce n’était qu’une contrariété très secondaire
À côté des mille autres problèmes sociaux
Qu’on leur donne du temps pour apprendre
Du temps pour évoluer
Il faut essayer de les comprendre
Avant de tout de suite les condamner
Mais bon dieu voilà qu’ils s’échappent
Ils partent avec mon bien
Vite il faut qu’on les rattrape
Et qu’on leur rattache les mains
Au secours on m’a volé ma carte bancaire
Au secours on m’a volé six-cent euros
Qu’on les ramène sur une civière
Je veux être leur bourreau
Mais qui donc a pris cette folle initiative
De défaire les liens
De personnes aussi agressives
Ça n’est pas très malin
Je me sens plein de colère et de haine
Je me suis fait avoir
Ils ne méritent pas qu’on les comprenne
Il ne faut pas se laisser par eux émouvoir
Au secours on m’a volé ma carte bancaire
Au secours on m’a volé six-cent euros
Il ne faut pas les laisser faire
Il faut leur donner mille cent coups de sabot
Mais ça y est les policiers les ramènent
J’espère qu’ils ont l’argent sur eux
Sinon ils connaîtront les effets de ma haine
Je leur arracherai le cœur et les yeux
Enfin je me sens à nouveau prospère
On me rend mon argent
Et ma carte bancaire
Je me sens à nouveau très grand
Deux jeunes m’avaient volé ma carte bancaire
Deux étrangers m’avaient volé six-cent euros
Mais je ne suis plus en colère
Ce soir au casino je serai encore le héros
***
BONNE PRISON
Enfermé entre quatre murs
De plus en plus je deviens dur
La douceur la gentillesse
C’est ça qui le plus m’agresse
Je suis dans le noir
Je ne suis pas bavard
Je ne regarde pas le temps qui passe
Ici je laisserai ma trace
Je la dessine avec un crayon
Qui est très très long
Long comme un jet de pisse
Profond comme un de mes orifices
Bonne et merveilleuse prison
Sur tes murs j'écris partout mon nom
Tu nous apprends vraiment à vivre
Tu nous apprends le savoir-vivre
On se souviendra de qui j'étais
Je n'étais pas qu'un prisonnier
J'étais quelqu'un à qui on n'adresse pas la parole
Sans respecter tout un protocole
Un homme qui se fait respecter
Sans vouloir être aimé
Des compliments il s'en balance
Il ne recherche pas les récompenses
Bien sûr je voudrais sortir
Bien sûr je voudrais ailleurs m'épanouir
Mais à ma nouvelle vie je me prépare
Je ne rate jamais une bagarre
Bonne et merveilleuse prison
Sur tes murs je me donne à fond
Tu nous apprends vraiment à vivre
Tu nous apprends à survivre
Je ne serai pas pris au dépourvu
Quand je me retrouverai dans la rue
Je saurai me défendre
Car j’aurai du courage à en revendre
Car j’ai tout appris en prison
L’adresse des bonnes maisons
Où l’on peut dissoudre
Et l’argent et la poudre
Et comment parier
Sans jamais risquer
Comment déjouer la protection sécuritaire
Des résidences secondaires
Bonne et merveilleuse prison
Entre tes murs je m'initie à la malversation
Tu nous apprends vraiment à vivre
De notre naïveté tu nous délivres
Comment y entrer la nuit
Et même s’installer dans un lit
Parfois y rejoindre une belle dame
Que mon audace enflamme
Mais le plus gros des péchés
Serait de m’y attacher
Je ne suis pas un propriétaire
Je ne suis pas un sexagénaire
Je vis au jour le jour
Il n’y a qu’ici que je fais de longs séjours
C’est un retour sans voyage
Qui se fait sans bagage
Bonne et merveilleuse prison
Entre tes murs je prépare mon prochain rebond
Tu nous apprends vraiment à revivre
C'est la liberté que gratuitement tu nous livres
Ici je me suis fait plein d’amis
Et je leur dis un grand merci
Car pour celui qui vole
C’est la meilleure des écoles
On se sent quand même moins isolé
Quand on est aussi bien entouré
C’est une véritable assurance
Que d’avoir des connaissances
C’est parce que je ne parle pas beaucoup
Qu’ils peuvent m’indiquer les meilleurs coups
Je ne suis pas de ceux qui donnent
Je préfère qu’on m’emprisonne
Bonne et merveilleuse prison
Entre tes murs les mots n'ont que le son
Tu nous apprends vraiment à vivre
Ici pas besoin de livres
Je reconnais les miens
Je connais mon destin
Je continuerai ma route
Sans le moindre doute
Et j’irai peut-être très loin
Très loin sur ce chemin
De tout je suis capable
Je suis irrécupérable
Bonne et merveilleuse prison
Sur tes murs j'écris partout mon nom
Tu nous apprends vraiment à vivre
Tu nous apprends le savoir-vivre
J’entends des beaux discours
Qui viennent d’une basse-cour
Mais je ne comprends rien à leur caquetage
Ce n’est pas mon langage
Et ils sont tout émus
Quand je leur montre mon cul
Ils le prennent pour un outrage
Alors que c’est mon vrai visage
C’est celui que je ne vois jamais
Même pas par son image reflétée
C’est parce qu’ils en veulent à mon indépendance
Que je leur montre ma plus fausse apparence
Bonne et merveilleuse prison
Sur tes murs j'écris partout mon nom
Tu nous apprends vraiment à vivre
Tu nous apprends le savoir-vivre
Ce sont mes pires ennemis
Ceux qui me traitent comme une brebis
Ce sont les loups de la sociale
Qui veulent m’imposer une vie normale
Ils me prennent pour un fou
Mais je suis un vrai voyou
Je me sens en défense légitime
Quand ils me prennent pour une victime
***
LAMPEDUSA
J’étais sans projet sans illusion
Quand je montais dans cette embarcation
Mes frères se couvraient de voiles
Et moi je me sentais déjà très pâle
Je m’étais placé devant
Au premier rang
Loin devant les femmes
À genoux je priais Dieu pour mon âme
Malilo face à la pluie et au vent
L’âme en bandoulière
Tu ne crains pas les frontières
Tu es un fier combattant
Pendant longtemps j’ai cru
Qu’il m’avait entendu
Car tout était tranquille
Tout semblait facile
Mais au premier coup de vent
J’ai senti le destin prendre son élan
J’aurais voulu avoir des ailes
Pour éviter cette catastrophe si peu naturelle
Malilo face à la pluie et au vent
Tu ne crains pas la foudre
Avec elle tu veux en découdre
Tu es un vrai gagnant
Mais il était trop tard
Le ciel était déjà noir
Et comme une vieille coque
Qui sous la pression se disloque
La barque tout de suite a pris l’eau
Elle est devenue tonneau
Mais malgré le poids extrême
Elle flottait quand même
Malilo tu es un grand marin
Tu vas faire le tour du monde
Car tu navigues toujours en eau profonde
C’est à toi que conduisent tous les chemins
Alors nous avons tous sauté
Ceux qui ne savaient pas nager
Collés aux autres comme des coquillages
Tous sur le même rocher depuis leur plus jeune âge
Ensuite il y a eu comme un sommeil profond
J’ai rêvé que j’étais devant une prison
Avec mes frères comme moi des hommes
On voulait qu’ils se nomment
Malilo tu es un grand libérateur
Car malgré toi tout tu oses
Et au malheur tu t’opposes
En donnant de toi le meilleur
Mais aux questions ils ne répondaient pas
Ils disaient qu’ils avaient faim et froid
Alors ils nous ont fait entrer dans la bâtisse
Nous ont mis nus et fouillé nos orifices
Je me sentais triste et honteux
Mais c’était pour eux
La violence n’est dégradante
Que pour ceux qu’elle contente
Malilo face au vent et au destin
Tu files droit vers l’orage
Sans te soucier des noirs nuages
Tu as perdu tous tes liens
Ce n’est pas leurs rires qui m’ont blessé
Ni qu’avec un jet ils nous aient lavés
Mais c’est qu’avec leur médecine
Ils prétendaient nous faire avouer notre origine
Si je ne veux plus savoir d’où je viens
Si un autre le découvre je ne serai plus un clandestin
Il me donnera mon passé en héritage
Et me renverra bientôt à mon village
Malilo étranger venu d’ailleurs
Rien ne résiste à ta puissance
C’est d’une céleste persévérance
Dont tu n’es que le transporteur
Mais je vous le dis que je ne viens de nulle part
C’est tout à fait par hasard
Que j’ai échoué sur cette île
Et je ne veux surtout pas en faire mon domicile
Non je veux aller beaucoup plus loin
Ce n’est pas ici que s’arrête mon chemin
C’est sans la moindre haine
Que mon désir est celui d’une terre lointaine
Malilo tu es le plus grand des champions
Car même à la dérive
Tu finis par trouver la meilleure des rives
Celle de la transformation
Non c’est vrai que je n’ai pas de plan
Simplement je suis le courant
À chaque jour suffit son aventure
À chaque homme suffit sa figure
Moi je n’en ai plus
Pour moi aussi désormais je suis un inconnu
Et ce qui à mes yeux me légitime
C’est d’être parmi d’autres un anonyme
Malilo tu sais où tu vas
Car tu n’as pas de demeure
C’est toujours ta dernière heure
Ton ici est toujours là-bas
Mais vous voulez me faire rebrousser chemin
Mais de moi croyez-moi je ne sais plus rien
Et même si vous me faites violence
Je garderai le silence
Car il n’y a pas plus fort
Que celui qui est déjà mort
Ayant oublié mon lieu de naissance
Je n’ai plus d’existence
Malilo Malila tu va toujours plus loin
Comme un profond mystère
Tu envahis toute la terre
De nous il ne restera bientôt plus rien
Hier j’ai plongé dans le néant
Et aujourd’hui je suis renaissant
Hier j’étais dans l’abîme
Demain je serai grandissime
C’est face à vous que désormais je vis
Pas parce que vous êtes mon ennemi
Mais parce qu’en me donnant la chasse
Vous m’obligez à agrandir mon espace
Malilo Malila quoi qu’il arrive tu restes confiant
Qu’il vente ou qu’il pleuve
Tu es comme le grand fleuve
Qui lentement et sûrement descend vers l’océan
Chaque fois que vous m’enfermez
Vous me faites encore plus vous intégrer
Croyant me chasser de votre monde
Vous en rendez ma participation encore plus profonde
M’ayant à la frontière reconduit
Vous me retrouvez pourtant ici
Vous croyez m’éloigner par la distance
Pour affirmer votre différence
Malilo Malila tu seras toujours un étranger pour toi
Ta quête sera toujours éternelle
Toujours à l’identique rebelle
Contestant partout la foi et la loi
Mais les différences constituent le tout
Et c’est ce que nous sommes moi et vous
Il n’y a pas de mystère
C’est clair comme de la lumière
Vous êtes de nous plein
De vous nous sommes le chemin
Par nous vous faites l’expérience
De votre véritable essence
Malilo Malila chaque jour tu es différent
Sans cesse tu nous rappelles notre véritable origine
Qui n’est pas celle qui nous détermine
Mais qui est celle qui est là-bas devant
***
EXIL
Nous sommes venus du lointain
Par le plus inconnu des chemins
Sans laisser la moindre trace
Et nous ne savons pas où est notre place
On nous a donné du crayon et du papier
Pour définir notre identité
Mais nous ne savons pas qui nous sommes
Sauf que nous sommes tous des hommes
Jaillissant de la plus courte des nuits
Après un voyage-éclair nous sommes ici
C’est comme une nouvelle naissance
D’abolir soudain toute distance
Nous nous ne voyons que vous
Vous qui êtes en face de nous
Vous qui avez un âge
Vous qui avez un visage
Même s’il est totalement nu
Il a le mérite d’être reconnu
Alors qu’ici une invisible guillotine
Nous a coupés de notre origine
Mais c’est un véritable bonheur
Car du coup nous n’avons plus peur
Vous nous voudriez à vous semblables
Afin de nous rendre acceptables
Mais nous ne sommes pas du même milieu
Nous ne sommes que des gueux
Sans la moindre richesse
Sans la moindre noblesse
Pour vous nous ne valons rien
Car nous ne vous apportons rien
Rien que nous pourrions vous donner en échange
Sauf cet immense désert étrange
Plein de rêves d’oasis lointains inconnus
D’où personne n’est jamais revenu
Ces parfums enivrants ces lumineux paysages
Qui ne sont que de dangereux mirages
C’est ainsi que vous nous craignez
Venant pour vous déposséder
Assurer notre descendance
Et créer de nouvelles croyances
Parce que les uns aux autres nous restons unis
Vous nous prenez pour des ennemis
Parce que nous ne voulons pas d’amalgame
Vous craignez pour la pureté de vos âmes
Vous savez que le plus grand danger pour le bien
C’est le clandestin
Car celui qui n’a pas d’attaches
Quelque part demain en l’autre les cache
***
NOSTALGIE
Je ne retrouve plus la frontière
Je voudrais pouvoir revenir en arrière
Mais je me suis perdu dans ce pays
Battu par le vent et noyé par la pluie
Ce triste paysage
N’est pas celui de mon plus jeune âge
J’ai des souvenirs radieux
De rires et de baisers de feu
Pas de chaleur maternelle
Pas de vols d’hirondelle
Mais dans un ciel transparent
Les rayons d’un astre brûlant
Heureusement il y a la caresse
Du souvenir de ma jeunesse
Elle n’a pas vraiment disparu
Puisque j’en suis encore ému
Je me souviens de la fraîcheur de l’aurore
Mêlée aux doux parfums de la flore
Et une main dans ma main
Me promenant par les chemins
Des routes indécises
Comme toujours en crise
On ne peut en faire un dessin
Car on n’en est pas assez lointain
Et l’ombre qui doucement me couvre
Quand une porte soudain s’ouvre
Je me sens comblé
De plonger dans l’obscurité
Heureusement il y a la caresse
Du souvenir de ma jeunesse
Elle n’a pas vraiment disparu
Puisque j’en suis encore ému
Mais ce n’est pas une cage
Ce n’est qu’un frais passage
Le temps de quelques paroles
Une haleine qui me frôle
Et je retrouve la lumière
Encore plus belle encore plus claire
Et voilà soudain que je cours
Je me sens rempli d’amour
Je cours et je chante
Tout ici m’enchante
Les yeux sont noirs et brillants
Ils reflètent la chaleur de notre sang
Heureusement il y a la caresse
Du souvenir de ma jeunesse
Elle n’a pas vraiment disparu
Puisque j’en suis encore ému
La vie ici est comme une caravane
Le soleil lentement la tanne
Mais elle continue son chemin
Sans craindre la soif et la faim
Elle ne craint pas les violents orages
Ni du sable les épais nuages
Car les tempêtes et les éclairs
Cela fait partie du désert
Le temps ici est toujours en fuite
Et l’espace n’a pas de limites
C’est pourquoi nous ne comptons pas
C’est ainsi que s’exprime notre joie
Heureusement il y a la caresse
Du souvenir de ma jeunesse
Elle n’a pas vraiment disparu
Puisque j’en suis encore ému
Notre joie est sans mesure
Et jamais tout à fait sûre
C’est comme de magnifiques explosions
Devant des spectateurs sans protection
Le danger nous tourne la tête
C’est lui qui enflamme nos fêtes
Nous l’affrontons sans peur
Même si certains en meurent
Mais aujourd’hui là où j’habite
Il n’y a que des limites
Des rues des immeubles partout des murs
Et les gens avec moi sont durs
Heureusement il y a la caresse
Du souvenir de ma jeunesse
Elle n’a pas vraiment disparu
Puisque j’en suis encore ému
Ici les gens n’aiment ni l’espace ni le silence
Ils ne sont pas capables de transcendance
Pas de méditation pas de passion
Ils sont interdits de paix et d’émotion
Parce qu’ils vivent à la verticale
Sans jamais de perspective horizontale
Ils se sentent à moi supérieurs
Ils ne m’ouvrent jamais leur coeur
C’est comme une dernière grâce
D’avoir conservé en moi cette vieille trace
Quand j’aurai perdu même les souvenirs
Il ne me restera plus qu’à mourir
Heureusement il y a la caresse
Du souvenir de ma jeunesse
Elle n’a pas vraiment disparu
Puisque j’en suis encore ému
Car ce n’est pas une existence
De vivre sans un sentiment d’appartenance
J’appartiens à un passé
Que d’autres que moi ont aussi aimé
Et d’autres encore sont en train de le vivre
C’est une pensée qui me délivre
Elle me délivre de ces durs liens
Qui me faisaient croire que je n’étais rien
De l’horizon la vastitude
Me sort de la solitude
C'est ici chez moi
Que je rêve de là-bas
Heureusement il y a la caresse
Du souvenir de ma jeunesse
Elle n’a pas vraiment disparu
Puisque j’en suis encore ému
***
EMMANUEL
Emmanuel pourquoi as-tu croisé les bras
Pourquoi Pourquoi
Tu me regardais à la porte
Et moi j’étais comme déjà morte
Les fumées de Dachau
Sont montées très haut
Et j’ai le cœur dans une tenaille
Quand je pense à cette tenace grisaille
Mais toi tu es resté serein
Toi tu ne craignais rien
Tu écrivais des poèmes
Tu ignorais nos problèmes
Tu voulais comprendre nos ennemis
Tu ignorais tes plus proches amis
Tu n’entrais pas en résistance
Pour défendre nos existences
Emmanuel Emmanuel Emmanuel
Lève les yeux vers le ciel
Les fumées doucement retombent
Comme une implacable et lente bombe
Et si aujourd’hui tu as le regard noir
De ceux qui n’ont pas osé la vérité voir
Ne fais pas la justice
En infligeant à d’autres le même supplice
Aujourd’hui nous avons recréé Israël
Mais nous ne sommes pas immortels
La fumée est comme un long voile
Qui nous cache toujours les étoiles
Nous avançons dans la nuit
Notre passé nous poursuit
Nous recréons la même histoire
En en cultivant la mémoire
Emmanuel ouvrons-nous les mains
Et regardons vers demain
Oublions les vieilles blessures
Que la lumière nous transfigure
Prenons un nouveau chemin
Ouvrons nos maisons à nos voisins
Ne les repoussons pas loin au-delà de nos portes
Comme un peuple qu’on déporte
Bien sûr nous n’oublierons jamais
Bien sûr il y aura toujours cette fumée
Cette odeur écœurante
Les images révoltantes
Mais si par Dieu nous avons été élus
C’est pour être tous le visage nu
C’est pour affirmer notre différence
En renonçant à toute vengeance
***
LA NOUVELLE LUTTE DES CLASSES
Prolétaires et nantis des grands pays
Nous sommes aujourd'hui tous unis
C'est la nouvelle lutte de classes
Des nations riches contre les lointaines masses
Des peuples miséreux ou travailleurs
Nous sommes tous devenus les exploiteurs
Le monde de la misère
Ce n'est pas notre tasse de bière
Grâce à eux nous avons tout pour pas cher
Pourquoi refuserions-nous ce qui nous est offert
Nous ne sommes pas des anges
Nous profitons du libre échange
Même quand nous le dénonçons
Nous en sommes la meilleure caution
Que nous soyons banquiers ou prolétaires
Nous en sommes tous les heureux bénéficiaires
Prolétaires et nantis des grands pays
Nous sommes aujourd'hui tous unis
C'est la nouvelle lutte de classes
Des nations riches contre les lointaines masses
Oui bien sûr nous sommes les uns aux autres égaux
Mais seulement quand il le faut
À quoi donc servirait un sacrifice
Dont on ne sait même pas qui en tirerait le bénéfice
Le système est bien rodé
Il fonctionne depuis des années
Une distribution plus équitable
Serait à tous gravement préjudiciable
Ne disposant plus de gros consommateurs
Les pays producteurs fabriqueraient des chômeurs
Personne ne tirerait avantage
De ce malheureux raccommodage
Prolétaires et nantis des grands pays
Nous sommes aujourd'hui tous unis
C'est la nouvelle lutte de classes
Des nations riches contre les lointaines masses
Ceux qui veulent chez nous habiter
Ne doivent pas importer leur pauvreté
Chacun doit boire à sa source
Et respecter l'équilibre des ressources
À quoi bon mettre en danger l'avenir de nos enfants
Pour des gens dont on connaît le côté indolent
Ils viennent ici pas parce qu'ils nous aiment
Mais pour la protection de nos systèmes
Les parasites finissent par épuiser
Celui qui ne sait pas les éloigner
Restons fidèles à notre doctrine
Et rejetons au loin la vermine
Prolétaires et nantis des grands pays
Nous sommes aujourd'hui tous unis
C'est la nouvelle lutte de classes
Des nations riches contre les lointaines masses
Exploiter avec lucidité les travailleurs d'ailleurs
Ne pas se laisser envahir par les profiteurs
Dominer le tiers monde par la puissance monétaire
Et renforcer sans cesse les contrôles aux frontières
Tel est le nouveau credo des peuples d'Occident
Tous unis dans un magnifique élan
Dans la gestion économique
Et une politique antiseptique
C’est le nouveau programme commun
Qui nous unit tous la main dans la main
C’est la nouvelle et sainte alliance
Qui nous prépare à notre future impotence
Prolétaires et nantis des grands pays
Nous sommes aujourd'hui tous unis
C'est la nouvelle lutte de classes
Des nations riches contre les lointaines masses
***
DIEU AIME NOS LIBÉRATEURS LAÏQUES
Oui, c’est vrai que je crois en Dieu
Même si je ne suis pas très pieux
Mais j’aime aussi les communistes
N’en déplaise à mes amis spiritualistes
J’ai pour eux plus que de la considération
Des peuples opprimés ils ont permis la libération
Eux fournissaient les armes et la logistique
Nous les actions héroïques
Ils ne sont pas morts pour rien
Mais d’eux ils ne restent rien
Sauf des mausolées des sépultures
Et quelques gigantesques sculptures
Nous avons chassé les occupants
Et retrouvé nos rites d’antan
Nous ne sommes pas devenus matérialistes
Et nous ne rejetons pas non plus les capitalistes
Mais nous n’oublions pas
Sans vous on n’en serait pas là
Sans vous nous serions encore des esclaves
À notre liberté on mettrait partout des entraves
Ils ne sont pas morts pour rien
Mais d’eux ils ne restent rien
Sauf les armes et la puissance
Une fausse ressemblance
Bien sûr aujourd’hui ce n’est pas parfait
Nous sommes toujours exploités
Et il faut toujours nous battre
Pour pouvoir de nos droits débattre
Mais sans vous où en serions-nous
Tous les jours je prie mon Dieu pour vous
Vous qui avez fini par disparaître
Sous les coups de vos ennemis et de vos traîtres
Ils ne sont pas morts pour rien
Mais d’eux ils ne restent rien
Sauf de la littérature
Que l’on donne aux étudiants en pâture
Vous qui avez souffert en vain
Pour que l’humanité soit meilleure demain
Ces millions de sacrifices
Qui pour vous n’ont créé que précipice
Celui de l’extrême pauvreté
En échange d’une fausse liberté
Avec en vitrine l’opulence
Maintenue par le mensonge et la violence
Ils ne sont pas morts pour rien
Mais d’eux ils ne restent rien
Sauf quelques chants révolutionnaires
Qui ne sont plus incendiaires
Ce qu’aujourd’hui on met en valeur
Ce sont vos crimes et vos erreurs
La cruauté de vos dignitaires
Et le secteur concentrationnaire
On a oublié de l’esclavage noir le plus grand des camps
On a oublié le travail forcé des femmes et des enfants
On a oublié vos agresseurs féroces que l’on félicite
Votre reconstruction mille fois détruite
Ils ne sont pas morts pour rien
Mais d’eux ils ne restent rien
Sauf des souvenirs et des cimetières
De vieux rêves de prolétaires
On a oublié la noble idée d’une humanité enfin libérée
Cette marche forcenée vers l’égalité
Cet horizon certes lointain mais fidèle
D’une communauté universelle
On a oublié tous les services gratuits
L’école la médecine le travail entre tous réparti
La retraite paisible à un bel âge
Aux hommes et aux femmes les mêmes avantages
Ils ne sont pas morts pour rien
Mais d’eux ils ne restent rien
Sauf des pauvres nostalgiques
Que l’on nourrit de prouesses cosmiques
Aujourd’hui c’est la loi du plus fort
Qui est à tous notre plus commun décor
Et la seule excellence
Serait celle que donne la libre concurrence
C’est la loi de la compétition
Qui fait le bonheur de toutes les religions
Car c’est dans la misère
Que le mieux elles prospèrent
Ils ne sont pas morts pour rien
Mais d’eux ils ne restent rien
Sauf la peur qu’ils reviennent
À nouveau briser les chaînes
La loi de la compétition
C’est celle qui entraînera l’ultime explosion
Il n’y aura plus de trêve
Il ne restera alors de l’homme que ses rêves
Il ne restera que les rêves et les héros
Pas ceux que nous montrent les jeux vidéo
Mais ceux qui étaient prêts à rendre l’âme
Pour sortir l’humanité du drame
Ils ne sont pas morts pour rien
Mais d’eux ils ne restent rien
Sauf leur héroïque histoire
Qu’on veut chasser de nos mémoires
Aujourd’hui je prie pour ces aliens
Qui m’auraient dit que prier ne sert à rien
Pour moi ce n’est pas un signe d’impuissance
C’est l’expression d’une croyance
Le dieu auquel je crois sait reconnaître les siens
Beaucoup d’entre eux étaient des païens
C’étaient des laïques
D’une générosité magnifique
Ils ne sont pas morts pour rien
Mais d’eux il ne reste rien
Sauf de vieux symboles
Qui lentement s’étiolent
JE SUIS UN MIGRANT
Je suis un migrant
Je suis un brigand
Je n'ai pas de résidence secondaire
Ni même de compte bancaire
Je n'ai pas de compte à l'étranger
Je ne vis pas dans un palais
Je n'ai de domicile
Ni à la campagne ni en ville
Depuis que j'ai quitté mon pays natal
On me prend pour un animal
Que l'on me prenne en chasse
Ou que dans un camp on m'entasse
Je ne suis pas un être humain
Je ne suis pas un chrétien
Je suis sur une terre étrangère
Mon seul droit est de me taire
Je suis un migrant
Je suis un petit trafiquant
Je vous vends des substances
Pour vous mettre en transe
Je n'ai pas d'identité
Puisque je n'ai pas de papiers
Que ce soit en Italie ou en France
Je n'ai pas de légitime existence
On me traite comme un chien
On me donne du lait et du pain
Juste pour paraître charitable
Et ne pas se sentir coupable
Je n'ai aucun droit
Je n'ai pas d'autre choix
Que de renier mon origine
Et de mener une vie clandestine
Je suis un migrant
Je suis un brigand
On m'accuse de maraudage
Comme un singe on aime me mettre en cage
J'apprends à exploiter
Pour ne pas être exploité
Dans cette jungle sauvage
Où fleurissent trafics et piratages
Où il n'y a pas de lois
C'est seulement chacun pour soi
Personne de l'autre n'est solidaire
Quand on lutte contre la misère
Je dors souvent dehors
Corps contre corps
Ou avec une couverture
Mais toujours à la dure
Je suis un migrant
Je suis un petit trafiquant
Je n'ai ni nid ni tanière
Ni sur ma tête une auréole de lumière
Je suis un brigand
Mais je ne suis pas un mécréant
Je ne sais pas où j'habite
Mais je respecte les rites
Quand je me mets à genoux
Ce n'est pas devant vous
C'est devant un Invisible
Qui à vous est inaccessible
Parce que vous vous vivez sans foi
Pour vous c'est une incompréhensible voie
Vous ne voulez pas me comprendre
Mais seulement vous défendre
Je suis un migrant
Je ne suis pas un mécréant
Je me fie à la toute-puissance
De celui qui définit mon existence
Parfois on me reconduit d'où je viens
Mais irrésistiblement je reviens
Contourner les frontières
Est pour moi une pratique familière
Vous préfèreriez me voir mort
Plutôt que de m'accueillier dans vos ports
Mais je ne porte pas d'uniforme
Je suis un être multiforme
En me chassant de votre univers
Vous me le rendez plus ouvert
Et votre légitime médisance
Est comme une reconnaissance
Je suis un brigand
Je suis libre comme le vent
Je saute par-dessus les barrières
Je passe entre les mers et les rivières
Je n'ai pas d'enfants
Car à l'école ils sont absents
Ils n'ont droit ni à la culture
Ni de vivre dans la nature
Ils apprennent la vie sur le tas
Ils ne connaissent pas les quotas
Ils font l'objet de pieuses statistiques
Mais eux ne connaissent pas l'arithmétique
Ils voudraient pouvoir grandir
Sans devoir toujours mentir
Devenir des enfants légitimes
Et non des numéros anonymes
Je suis un brigand
Je n'ai pas d'enfants
Ils veulent vivre à votre image
Vivre de salaires et d'héritages
Ils admirent les héros de vos films et de vos jeux
Et rêvent de devenir comme vous des gens heureux
En jouissant chaque jour de la prééminence
De votre droit de naissance
Ils jouent aux gendarmes et aux voleurs
Ils jouent en riant à se faire peur
Ils jouent à celui qui tue et à celui qui se venge
Ils rêvent en jouant que leur vie change
Mais leur chemin est tracé
C'est celui d'être voleur ou assisté
C'est la seule alternative
Des familles de réfugiés à la dérive
Je suis un migrant
J'ai partout des parents
Ma nature veut que je prolifère
Et que j'envahisse toute la terre
J'habite déjà chez vous
Et un jour je vous mettrai à genoux
Car je n'ai pas besoin de belles apparences
Pour affirmer et imposer mon appartenance
Je me contente d'être ce que j'ai toujours été
Un être partout et toujours mal aimé
Mais qui avec le temps s'enracine
Là où sa dérive se termine
Je n'aurai alors plus besoin de vos maisons
Je ne craindrai plus vos arrêtés d'expulsion
Que la saison soit froide ou chaude
Il n'y aura pas à mon errance de nouvel épisode
Je suis un migrant
Je suis un errant
Je serai bientôt un sédentaire
Un citoyen à part entière
***
JE SUIS UN GILET JAUNE
Je suis un gilet jaune
Je crée des rues piétonnes
De préférence le samedi
De préférence sans préavis
Je n'aime pas l'économie libérale
Je n'aime pas l'argent sale
Alors on me roue de coups
Et on me fait passer pour un fou
Je n'aime pas les journalistes
Alors on me fait passer pour un fasciste
Ou un raciste violent
Un abruti ignorant
Je montre ma colère
Face aux injustices et à la misère
Alors on me met en prison
Pour mes mauvaises façons
Je suis un gilet jaune
Je crée des rues piétonnes
De préférence le samedi
De préférence sans préavis
Je ne me laisse pas faire
Quand on me jette à terre
Mais on me dit que je n'ai pas le droit
De me défendre quand on me bat
Que je suis responsable de la casse
Complice de ceux qui se voilent la face
Et l'on répond à mes revendications
Par les plus sévères sanctions
On m'emprisonne on me cogne
On me blesse on m'éborgne
On m'arrache la main
On me traite comme un gredin
Je suis un gilet jaune
Je crée des rues piétonnes
De préférence le samedi
De préférence sans préavis
Je réclame une vie démocratique
On m'envoie des réponses pédagogiques
Les décisions n'appartiennent pas à la rue
Mais à la classe sacrée des élus
À ceux qui ne représentent qu'eux-mêmes
Et les nantis de tous bords qui les soutiennent
Ignorant que leur représentation
N'est que le produit de manipulations
C'est ce que démontre la plus simple arithmétique
Et pour influencer l'opinion publique
Les journaux les radios la télé
Sont leurs tout-puissants alliés
Je suis un gilet jaune
Je crée des rues piétonnes
De préférence le samedi
De préférence sans préavis
Je demande un contrôle référendaire
Mais on veut me faire taire
On fait des concessions
Qui ne sont que des illusions
On veut m'avoir à l'usure
Mais j'ai la vie dure
Je ne laisserai jamais tomber
Ceux qui ont été blessés ou condamnés
D'eux je suis à jamais solidaire
Je demande qu'on répare et qu'on libère
Il y aura toujours des manifestations
Tant qu'il y aura de la répression
Je suis un gilet jaune
Je crée des rues piétonnes
De préférence le samedi
De préférence sans préavis
***
BATACLAN 13 NOVEMBRE 2015
Ils étaient venus pour s'exprimer
Ils étaient venus pour s'exalter
Ils étaient venus pour partager
Ils étaient venus pour célébrer
Ils ont été emportés par une vague sauvage
On les a détruits avec rage
Femmes et hommes de tout âge
Vous avez subi le plus horrible des carnages
J'entends encore les cris et les voix
Les corps qui tombent comme des noix
Les regards pleins d'amour et d'effroi
Qui sont comme d'éternelles croix
Je n'oublierai jamais les mains qui s'étreignent
Au milieu des corps qui saignent
Les balles qui inutilement les atteignent
Dans les yeux la terreur qui règne
Je n'oublierai jamais ce lourd matin
Mon cœur qui sonnait le tocsin
J'errais dans la rue comme tous mes voisins
Sur un chemin qui me paraissait incertain
Paris n'était plus que tristesse et silence
Il n'y avait ni colère ni tolérance
C'était comme une stupeur immense
Face à une incompréhensible violence
Paris dévoilait son funèbre décor
Et comme dans un long sombre corridor
Nous avions revêtu les visages des morts
Nous imaginions les blessures des corps
Ils ne portaient pas d'armure
Ils étaient venus avec leur vraie nature
Raisonnables ou bien dans la démesure
Ils rejetaient tous la censure
Crânes rasés ou cheveux onduleux
Yeux noirs ou bleus regards clairs amoureux
Sourires d'anges heureux
Ou caractères bruts ténébreux
La musique effaçait vos différences
Vous communiez dans la transe
Et même pour certains dans la danse
C'était une véritable jouissance
Vous êtes nos nouveaux martyrs
Ceux que l'on veut juger et punir
Parce qu'ils accomplissent nos plus profonds désirs
Parce qu'ils aiment la beauté et le plaisir
Vous ne quitterez jamais nos mémoires
En cultivant pieusement vos histoires
En étendant à l'infini votre territoire
Nous ferons de votre sacrifice une victoire
Nous nous battrons pour ce que vous avez incarné
La joie la musique la vie la liberté
Votre souvenir deviendra comme un projet
Qui sera partout réalisé.
Ils étaient venus pour s'exprimer
Ils étaient venus pour s'exalter
Ils étaient venus pour partager
Ils étaient venus pour célébrer
SANS PAPIERS
C’est seulement en clandestin
Que tu dois emprunter ce souterrain
Ce voyage dans l’espace
Se fait sans changer de place
Tu es un sans-papiers
Tu es dans l’illégalité
Si tu veux te faire reconnaître
Tu retombes dans le paraître
Tu ne peux être que dans l’exclusion
Jamais dans l’institution
Partout un hérétique
Car à toi jamais identique
Aucun titre de propriété
Aucun brevet d’authenticité
Aucune œuvre
Qui en donne la preuve
On ne peut te statufier
Car ce serait te pétrifier
Tu es comme une rivière
Toujours à elle étrangère
Pas d’outils
Et donc pas de favoris
Personne qui domine
Personne qui fascine
Ici pas de chef
Ce n’est pas un fief
Pas besoin de guide
Pour voir qui ici réside
C’est un vieux mendiant
Qui est aussi un petit enfant
Il ne peut vivre que de manière secrète
La publicité le fait disparaître
Ce n’est pas une attraction
Ce n’est pas une religion
Comme un oiseau craintif il s’envole
Au premier tour de parole
***
CLANDESTIN
Ma conscience est sans voix
Elle ne connaît ni comment ni pourquoi
C’est un palais de silence
Pour celui qui pense
Ce palais héberge un noble héros
Mon dieu qu’il est beau
Qui s’en croit le propriétaire
Mais n’en est même pas le locataire
Avec ses pensées comme clefs
Il essaye de tout fermer
Mais il y a toujours une ouverture
Qui n’avait pas de serrure
Il y a toujours un clandestin
Qui trouve un chemin
Il y a toujours un autre
Toujours un nouvel hôte
Ça n’est jamais fini
Toujours de l’inédit
D’ici je ne suis pas le maître
Surtout si je veux le paraître
Par de longs discours
Par des preuves d’amour
Par des expériences
Par l'excellence
Mais c’est en voulant bien
Ici que les autres soient souverains
En acceptant leur différence
Que je retrouve le silence
Au lieu de totaliser
Je vais plutôt écouter
Je serai partout inaudible
Et toujours divisible
L’autre je ne le verrai plus
Je ne l’entendrai plus
Mais perdant de moi la mémoire
J'assumerai son histoire
***
SOLUTION FINALE
Il devrait être le plus saint
Ou le plus le cœur sur la main
La plus admirable sagesse
La plus touchante gentillesse
Des maîtres le plus grand champion
Celui qui donne la meilleure initiation
Celui de qui on fera un buste
Parce qu’il était un vrai Juste
On voudrait qu’il n’y ait qu’une seule vérité
Et c’est celle qu’il a enseignée
Ainsi plus de doutes
Plus qu’une seule route
Il n’y a qu’un seul chemin
Celui qui n’en fait pas le sien
Est digne d’indulgence
Mais pas de reconnaissance
Que le point de vue soit différent
Ici n’est pas un bon argument
Quand la conception est totale
Attention la solution devient finale
***
TOUJOURS RAISON
Il y a beaucoup de points communs
Entre les mêmes chemins
Et tellement de divergences
Entre les croyances
En cas d’extrême désaccord
Si le différent n’avait pas tort
Tu ne pourrais plus dignement vivre
Sans nécessairement le suivre
Tu as toujours raison
Toi ou ceux de ta maison
C’est ce que tu démontres
Même sans qu’à l’autre tu te confrontes
Sinon tu ne dirais rien
De l’autre tu serais plein
Sans gloire sans panache
Sans pour autant que tu t’y attaches
***
PASSAGER
C’est un passager
Qui ne peut pas payer
On ne retrouve pas sa trace
Il ne trouve pas sa place
Sa place est toujours par un autre occupée
Et il se sent très honoré
Parfois il l’interroge
Jamais il ne l’en déloge
Il change souvent de destination
Il est toujours en reconstruction
Sans cesse il improvise
Mais toujours avec franchise
On le voudrait gracieux
Mais il est mystérieux
On attend de l’éloquence
Et il demeure dans le silence