CLAIRS DE NUIT – Poèmes de mes deux mondes
Ce 27ème livre de Jean-Paul Inisan est un recueil de poèmes qui se distingue des précédents par la longueur inédite de nombreux textes, lesquels se présentent comme de véritables écritures testamentaires qui peuvent interroger sur les intentions secrètes de l'auteur. Obsédé par l’imminence de plus en plus pesante de sa mort, le poète évoque (et invoque) l’infinitude indestructible de son être essentiel face à l’espace-temps limité et fragile de sa vie.
Cette angoisse s’exprime créativement tout au long du livre par une thématique dont la rigueur rationnelle s’allie avec grâce à l’esthétisme raffiné du rythme, des sonorités musiciennes et des images contrastées. Souvent précieux, le langage revêt parfois une forme presque triviale qui peut déranger. Enfin, la tonalité surréaliste de certaines lignes enchante la magie d’étranges contes fantastico-épiques et de fantaisies maritimes inattendues, rafraîchissant ainsi le récit théorique, élégamment clôturé par une poétique subtile de la méditation.
CLAIRS DE NUIT, auteur : Jean-Paul Inisan*, éditeur : Edmond Chemin, Rennes, 2023 - prix : 20 euros – 216 pages, format de poche 19 cm x 12 cm – numéro ISBN : 979-10-95638-18-6 – Disponible en librairie ainsi que sur tous les sites de vente internet : bod. fr (site recommandé pour une disponibilité immédiate du livre), fnac.com, amazon.fr, decitre.fr, dialogues.com, etc.
E X T R A I T S . . .
(Reproductions autorisées avec mention de la source)
LE GRAND SECRET (extrait)
Mais pourquoi donc ne vous révélerais-je pas mon secret
Puisque ce message à la masse n’est pas destiné
En effet très peu d’entre vous en acquerront la connaissance
Car très peu d’entre vous voudront en faire l’expérience
La plupart d’entre vous ne voudront même pas en faire l’essai
Vous aurez bien trop peur de changer
Vous préférerez continuer à vivre votre routine
Vous préférerez la sécurité de votre vie de machine
Ce secret restera ainsi bien caché
Et conservera ainsi ses magiques propriétés
Ce n’est pas qu’il soit destiné à une élite
Ni non plus qu’il faille qu’on le mérite
Mais le danger est grand de se croire supérieur
Et alors on risque de vivre un grand malheur
Car c’est uniquement en ne la révélant à personne
Que cette connaissance vous désempoisonne
Si vous ne pouvez pas rester effacé
Si vous voulez vous en servir pour triompher
Ou même simplement en faire un miraculeux rite
Alors arrêtez tout sans hésiter arrêtez tout tout de suite
Mais si vous vous sentez capable de rester silencieux
Quand on vous questionnera sur la lumière dans vos yeux
Alors écoutez cette onde qui en vous profondément résonne
Tout en vous faisant totalement aphone
(fin de l'extrait...)
LE VERRE ET LE MIROIR
À travers ce petit fragment de verre si transparent
J’aperçois le monde immense qui est présent
Il va et vient heureux comme une abeille
Qui dans mon jardin secret de tout s’émerveille
Les oiseaux sont heureux ils chantent haut
C’est comme un vivant tableau
Frelons et faucons y ont leur place
Car il n’y a pas de barrières dans cet intime espace
Et tous les gens que j’aime je les vois ici
Ils me paraissent pleins d’amour et de vie
Leurs présences sont comme des caresses
Qui me dispensent une douce ivresse
Et même ceux que je n’aime pas
Vraiment ils ne me dérangent pas
Quand je les vois ainsi dans cette immense sphère
Où tout le monde se baigne dans la même lumière
Mais bon dieu qui soudain vois-je dans un miroir
Qui donc a remplacé mon verre par ce brouillard bavard
À qui appartient ce minuscule visage
Qui me masque la grandeur du paysage
Ce reflet se croit vraiment important
Il croit me séduire en me souriant
Il me prend pour un imbécile
Quand il me dit qu’il est fragile
Qu’il a besoin d’être par moi protégé
Que je dois à tout prix l’aider
L’aider à résoudre ses problèmes
L’aider même à faire ce poème
Comment un objet aussi rétréci
Peut-il me cacher l’immensité de mon génie
Celui qui n’appartient à personne
Sauf à celui qui a renoncé à son trône
Celui qui n’a jamais eu de nom
Celui qui n’a aucune possession
Celui qui ne cherche pas la gloire
Celui qui de ses succès perd aussitôt la mémoire
Vite je range cette face sans pile au fond d’un tiroir
Vite j’oublie son souvenir et ses faux espoirs
Et ouf je retrouve alors l’endroit immense où j’habite
C’est un lieu de joie et d’amour sans limites
Je suis à nouveau comme un prisme qui diffuse mille couleurs
Des plus ordinaires aux plus exotiques des fleurs
Je vois de tous mes proches les merveilleux visages
Vous donnez de la profondeur à mon paysage
Parce que vous n’êtes pas tous beaux et gentils
Parce que vous n’êtes pas tous mes amis
C’est de la nuit et du jour l’éternelle danse
Les étoiles et les abîmes obscurs ensemble dansent
Ici, à zéro millimètre et à zéro seconde de moi,
Je n’ai vraiment qu’un seul possible choix
C’est de disparaître en tant que personne
C’est de devenir un roi sans couronne
Le plus puissant des souverains
Celui qui ne possède rien
Qui à tous fait toujours confiance
Car il voit au-delà des apparences
Je sait que parce qu’il est invisible et muet
Il ne peut jamais être identifié
Mais grâce à ses racines profondes
C’est dans son cœur qu’il accueille le monde
ÉCOUTER
Simplement écouter en acceptant les différences
Est source d'une grandiose jouissance
Conscient alors de mon invisibilité et de mon silence intérieur
Toute mon attention absorbée par mon interlocuteur
Sans me soucier de l'image que de moi je donne
Je m'étends et de mes limites je me désemprisonne
C'est comme une miraculeuse porte de sortie
Qui s'ouvre soudainement sur un univers éternel et infini
Une existence dont je ne crains plus la finitude
Car ma conscience est d'une incommensurable amplitude
Elle contient tous les espaces et tous les temps
Tous les êtres ayant existé et existant
L'ÉTOILE DU JOUR (extrait 1)
Il me faut perdre la face
Pour retrouver à nouveau la grâce
La grâce de retrouver ce que Je suis
Ce qu’essentiellement Je suis
Ce que je suis c’est le multiple et l’Infini
Qui est la source constante de la Vie
C’est le même « Je » qui est en chacun de nous
C’est l’Infini qui se cache au fond de chacun d’entre nous
Et que nous redécouvrons par la reconnaissance
En faisant de la vérité de l’autre l’expérience
Il en est ainsi de toute incarnation
Elle commence toujours par une séparation
On se sépare de la protection de sa mère
C’est ainsi qu’on commence tous sa vie sur terre
Et l’on oublie totalement d’où l’on vient
Là où il n’y a ni début ni fin
Là où l’absence de face
Nous fait contenir l’espace
Là où il n’y a plus de temps
Où tout est ici et maintenant
Ce n’est même pas romantique
C’est presque une loi de la physique
En vérité, l’amour n’est pas un comportement
Le véritable amour n’est pas un sentiment
C’est simplement une intérieure expérience
Qui se fait dans le plus total silence
Quand c’est moi qui par amour donne
Ce que je donne ne vient de personne
Mais cet autre qui me fait la grâce d’un don
Je reconnais tout de suite son visage et son nom
Je ne peux exister sans lui
Je ne peux aimer sans lui
C’est même grâce à nos divergences
Que je peux redevenir immense
L’étoile qui dans le ciel resplendit
M’ouvre la porte de l’Infini ici
C’est quand je suis de moi à zéro millimètre
Que je retrouve le meilleur de mon être
SONNEZ TROMPETTES
Olifants de la gloire
Chantez mon histoire
Elle n'a pas commencé
Qu'elle est déjà terminée
Tout est dans le présent espace
Pour le reste il n'y a pas de place
Sauf pour le bonheur
Sauf pour le malheur
Sonnez sonnez trompettes
Aujourd'hui c'est la fête
Allons danser dans les champs
Tout le monde au premier rang
C'est le divin désordre
Celui qui systématiquement déborde
Il déborde nos capacités
Il nous fait nous transcender
Ne vous mettez pas en colère
Ici la vie n'est pas chère
Il suffit d'en cueillir les fruits
Le jour et même la nuit
Sonnez sonnez trompettes
Aujourd'hui c'est la fête
Allons danser dans les champs
Tout le monde au premier rang
Ne jouez pas aux anges
À ceux que rien ne dérange
La loi du corps
Impose à tous la mort
Ce n'est pas une raison pour ne pas vivre
La vie n'est pas dans les livres
La vie se croque à pleine dents
Dans l'intensité de l'instant présent
Sonnez sonnez trompettes
Aujourd'hui c'est la fête
Allons danser dans les champs
Tout le monde au premier rang
Ce n'est pas que dans la jeunesse
Qu'on peut avoir le cœur en liesse
Le temps n'a pas de compteur
C'est une perpétuelle invention à faire peur
Le temps indéfiniment s'étire
Il n'a pas de point de mire
Alors pourquoi serais-je limité
Si on ne peut m'expliquer l'éternité
Sonnez sonnez trompettes
Aujourd'hui c'est la fête
Allons danser dans les champs
Tout le monde au premier rang
Ce qui est définitivement inconnaissable
Génère créativement l'improbable
Que ferais-je d'une seule identité
Je finirais à l'usure par succomber
J'en trouve toujours de nouvelles
Qui ne sont pas toujours plus belles
Mais au moins je ne m'ennuie pas
Je change souvent de voie
Sonnez sonnez trompettes
Aujourd'hui c'est la fête
Allons danser dans les champs
Tout le monde au premier rang
Ce n'est ni moral ni scientifique
Là-dedans il n'y a aucune logique
Sauf celle de ma liberté
Qui est d'abord d'être librement né
Et donc de librement disparaître
Sans sacraliser le passé de mes êtres
C'est cet ineffaçable oubli
Qui est le prix de mon infini
Sonnez sonnez trompettes
Aujourd'hui c'est la fête
Allons danser dans les champs
Tout le monde au premier rang
MOURIR EN AIMANT
Mourir en aimant
C’est monter au firmament
Mais mourir avec haine
C’est se condamner à la géhenne
Ce n’est pas facile quand on est souffrant
Car ce que l’on ressent c’est du ressentiment
On le vit comme une épreuve
Qui de la cruauté de Dieu est la preuve
Ou au contraire on croit que c’est de tout la fin
On croit qu’après il n’y aura plus rien
La douleur nous enfonce dans la matière
Et nous fait oublier le Mystère
Mais il nous faut rester ouvert
À l’Infini inconcevable de l’univers
À l’inconnu de notre origine
Qui à la mort tous nous destine
Il nous faut regarder
Il nous faut écouter
Même à notre dernière heure
Être attentif à ceux qui demeurent
Penser à la beauté de leur vie
Penser la beauté de la vie
Penser à la beauté d’être
À la beauté de tous ces êtres
Proches ou lointains
Qui poursuivront leurs chemins
Malgré notre absence
Malgré notre inexistence
Ils seront heureux et malheureux
Ils mourront jeunes ou vieux
Dans ce renouvellement de la Vie intarissable
Ils seront différents ou semblables
En partant donnons-leur en cadeau notre amour
Sans rien attendre en retour
Quel que soit leur caractère
Devenons ce en quoi de nous ils diffèrent
Acceptons-les sans conditions
Car c’est en supprimant ici-bas les limitations
Que nous accédons à un au-delà sans frontières
Sans début ni fin et sans barrières
Pour élargir notre point de vue
Il nous faut accomplir notre ultime mue
Celle qui va nous unir à tout être
Bien en-deçà du paraître
Nous accédons alors à un panorama
Qui ne se contemple ni d’en-haut ni d’en-bas
C’est une perception multidimensionnelle
Une perspective universelle
Là où le récepteur horizontal
Rejoint le canal vertical
Dans l’unitaire infinitude
D’une incommensurable multitude
Le semblable et le différent deviennent équivalents
Ils constituent un seul et même élément
C’est cela l’amour c’est devenir infiniment immense
En pensant ce que notre ennemi pense
Mourir en aimant
C’est monter au firmament
Mais mourir avec haine
C’est se condamner à la géhenne
JOUIR ET AIMER (extraits)
(extrait 1)
Tout de même je suis partie bien trop tôt !
J'aurais tant voulu revoir notre maison aux rideaux d’eau
Piéger et moquer le ribaud séduit par mon joli visage
Avec mes yeux-coquillage qui auraient fait des ravages.
J'aurais voulu goûter à tous les vins nouveaux
Et apprendre enfin le vrai sens du beau.
J'aurais voulu être une sensuelle maîtresse
Qui aurait appris aux hommes la douceur de la caresse.
Car c'est vrai que j’étais une belle enfant.
Avec mon cul bien rond et mes seins proéminents,
Je courais, nue le long du fleuve comme une folle,
En espérant bien que tous les mâles du monde me violent !
Je riais, criais, défiais et provoquais partout
Et on devait souvent me panser les genoux
Mais c’était bon de se faire soigner avec tendresse
Par ceux qui ne me prenaient pas pour une scélératesse
Non, je vous le jure, mes amis, je ne vous trompais pas,
Car c’est à vous que je réservais le meilleur choix,
Mais c'est vrai aussi que je n'étais pas un ange,
Je n’aimais pas qu’on me fasse des louanges.
Le jaspé qui me moulait de très près,
Ne cachait rien de mes multiples attraits
D’un simple regard mon corps était consommable
On l’imaginait à la fois doux charnu et pénétrable
(extrait 2)
C’est la loi d’une préventive terreur
Qui garantirait à tous le bonheur
On nous pousse aujourd’hui à nous battre
Voire même des armements à devenir un idolâtre
On aiderait ainsi en plus ceux qui en ont besoin
Ceux qui ne connaissent pas un autre chemin
Que celui des réactions de défense guerrières
Dont l’issue ultime sera la disparition de la Terre
Celui qui veut être le plus juste en étant le plus fort
Condamne inéluctablement le monde à la mort
Tout ça avec un merveilleux langage scientifique
Qui ne peut aboutir qu’à un avenir cataclysmique
(extrait 3)
Ainsi le monde s’est-il condamné à l’explosion
Qui n’est que la forme ultime de la division
Mais enfin pour atteindre les étoiles
Il nous suffira de dissiper les voiles
Et nous en trouverons le secret chemin
Celui qui de vaisseau hypersonique n’a pas besoin
Pour accéder à de nouveaux mondes
Où la Vie sera à nouveau féconde
Tout sera à nouveau clair
Rien dans l’Univers ne se perd
Tout se renouvelle tout se déplace
Dans cet infini temps-espace
ULTIME (extrait)
Je m’étais égaré sur mon chemin
Quand soudain j’ai retrouvé mon Un
On m’avait caché sa constante présence
Par des punitions et des récompenses
Je ne m’étais jamais senti aimé pour mon êtreté
Être aimé pour le fait si simple mais si merveilleux d’exister
La conscience de mon existence m’était interdite
Seuls comptaient mes échecs et mes réussites
Il me fallait prouver à chaque instant
Que j’étais un véritable gagnant
Ma joie était toujours conditionnelle
Et ma fortune très conjoncturelle
Et tout d’un coup il y a eu cette explosion
Il y a eu cette formidable libération
Je suis enfin sorti de cette invisible cage
Où j’étais de moi le consentant otage
La clef était un secret simple mais bien caché
Il fallait simplement trouver où regarder
Je devais plonger mon regard bien en face
Sans surtout rester en surface
Vers ce que réellement je suis
Un indélimitable maintenant et ici
Et alors j’ai acquis la connaissance
De l’Infini, de mon essence
Je contiens l’espace et le temps
Et je ne suis pas contenu dedans
Je suis dans tous les êtres
Et pas seulement dans leurs paraîtres
Homme ou femme ami ou ennemi
Pendant un instant je deviens elle ou lui
Je ne fais plus de différence
Et cela me confère une étrange puissance
(fin de l'extrait)
D’ICI À LÀ-BAS
Les tunnels secrets du temps
Ne sont pas ceux des savants
Ceux-là ne sont que leurs apparences
Les miens sont dans une totale transparence
On ne peut leur donner de nom
Car ils sont dans une autre dimension
En-deçà de tout imaginaire
En deçà de tout extraordinaire
Il n’y a pas loin d’ici à là-bas
C’est juste à quelques pas
Et ce n’est visible
Que si vous êtes invisible
Invisible à vous-même dans les miroirs
Inaudible à vous-même dans les parloirs
Alors vous n’êtes jamais le même
Et tout l’Univers vous aime
LE VOYAGE COSMIQUE DE L'AMOUR (extrait 1)
Tout m’est connu dans l’ici-maintenant
Toutes les prochaines naissances
Les anciennes et les futures absences
Sont toutes présentes en cet instant
Celui que je suis ne peut être identifié
Car on ne peut jamais être le même
Quand tout le monde on aime
À rien ni personne on ne se sent attaché
Ce JE est un éternel et immobile Vivant
Fait d’une multitude infinie de vies instables
S’agitant sans cesse de manière incontrôlable
Se déplaçant sans cesse dans l’espace et dans le temps
Ce JE contient immobilement l’espace et le temps
Il n’a ni corps ni voix ni goût ni âge
Il n’est qu’un immense et inaltérable passage
Sans cesse creusé par des passants toujours différents
Qui ne reviennent jamais sur leurs pas
Et pourtant ce sont toujours les mêmes silhouettes
Qui s’approchent puis s’éloignent de mon immense fenêtre
Et dans mon oreille de silence ce sont les mêmes voix
PETIT BONHOMME (extrait)
Petit bonhomme
N'est pas un fantôme
Petit bonhomme
Petit bonhomme
Il rêve souvent la nuit
Qu'il a plein d'amis
Mais en plein jour
Il en a vite fait le tour
Il se lève tous les matins
Pour prendre le même train
Tout le monde lui dit bonjour
C'est comme ça depuis toujours
Petit bonhomme
N'est pas un logophone
Petit bonhomme
Petit bonhomme
Il est toujours de bonne humeur
On dirait que rien ne lui fait peur
De se lamenter il n'a pas le temps
Il file toujours droit devant
Cela fait un long bail
Qu'il ne va plus au mail
Mais il n'arrête pas de marcher
Il est toujours sur pied
Petit bonhomme
N'est pas un môme
Petit bonhomme
Petit bonhomme
Il ne sait pas où il va
Mais ça il ne le sait pas
Il doit tout au hasard
Ainsi il n'est jamais en retard
Il chante en solo
Des chants très beaux
Que personne ne connaît
Car on ne l'écoute jamais
Petit bonhomme
N'est pas un microphone
Petit bonhomme
Petit bonhomme
De lui tout le monde rit
Car il est très petit
Mais lui ça ne le gêne pas
De tout voir d'aussi bas
Tout ce qu'il voit
Il ne le dit pas
Il ne dévoile pas
Tous les coups bas
Petit bonhomme
N'est pas un gnome
Petit bonhomme
Petit bonhomme
Il fume des joints
Car il en a besoin
Et on ne lui dit rien
Car c'est son chemin
Il compte tellement peu
Qu'il peut faire tout ce qu'il veut
Même quand il pète un plomb
Personne ne fait attention
Petit bonhomme
N'est pas un surhomme
Petit bonhomme
Petit bonhomme
(fin de l'extrait)
DEUX POUR UN (extrait 1)
Ils nous auraient joyeusement vivisecté
Mais ils ne parvenaient pas à nous localiser
Nous occupions en même temps plusieurs places
Sans pourtant jamais nous déplacer dans l’espace
Ils ont fini par renoncer et ils nous ont vite oubliés
Ils n’avaient pas de temps pour ce qui ne peut s’attacher
C’est ainsi qu’ils n’ont pas connu leur vraie nature
Et qu’ils ont continué à adorer des dorures
Avec leurs analyses ils iront jusqu’à l’ultime explosion
Celle qui signera de la matière la totale disparition
Il ne restera plus rien de leur planète
Mais ils ne se considéreront pas comme des traîtres
Ils seront heureux de ne pas avoir su vivre simplement
De n’avoir su vivre qu’en comptant et en découpant
De ne pas avoir connu l’invisible et le silence
Qui règnent dans la simple présence
À zéro millimètre et à zéro seconde de soi
On découvre une indestructible joie
C’est celle qui n’a pas besoin d’un génial langage
Pour vivre l’amour et le partage
Heureusement nous nous survivrons
Nous survivrons à toutes les destructions
Car seule la matière est destructible
Nous ici nous sommes indivisibles
Nous retrouverons nos originelles maisons
Elles se trouvent dans les plus hauts horizons
Nous traverserons les univers et les mondes
En une fraction de millimètre en une fraction de seconde
Car nous étant installés dans le Un
Il nous sera impossible de prendre un autre chemin
Ce sera celui de nos amies les étoiles
Pas seulement celles qui tous les soirs à nos yeux se dévoilent
Mais aussi toutes celles qui sont dans l’espace infini
Ce qui ne pourra jamais être totalement compris
Car l’Infini est dans le temps interminable
Et étant sans limites il est dans l’espace indéfinissable
C’est pourquoi morts et vivants sont toujours réunis
Car dans l’Univers cosmique rien n’est jamais fini
La mort n’est qu’un voyage éclair dans l’espace
Qui nous fait simplement changer de place
C’est un jeu que nous jouons depuis la nuit des temps
Mon ami et moi en sommes devenus conscients
Il suffisait de renoncer à la vie immortelle
Il suffisait de renoncer à la vie individuelle
Il suffisait de renoncer à toute séparation
Il suffisait de renoncer à toute domination
Il suffisait d’accepter de devenir invisible
Il suffisait d’accepter de devenir inaudible
Mais je sais que cela fait horreur
À ceux qui veulent être aux autres supérieurs
À ceux qui font des apparences
La seule possible existence
Personne ne veut renoncer à soi ou aux siens
Et certains s’accrochent désespérément à leurs biens
À leurs corps à leurs souvenirs ils s’accrochent
Et ils voudraient bien retrouver leurs proches
Mais ici nous ne faisons pas de discrimination
Avec tout le monde nous sommes en union
Ici il n’y a jamais de durable ou grave crise
C’est l’inépuisable diversité qui remplace la surprise
(fin de l'extrait)
ENTRE ICI
C’est seulement en n’étant rien
Que tu peux découvrir ce chemin
Tu dois renoncer à toute couronne
Et accepter de n’être personne
Tu ne peux trouver ce sentier secret
Qu’en acceptant ton immobilité
Il te faut d’abord être racine
Pour retrouver ton origine
Ce n’est pas de la remémoration
Ce n’est pas de l’imagination
Pour entrer ici tu dois être amnésique
Et jamais hyperbolique
Ne présenter aucun titre de supériorité
Ne revendiquer aucune égalité
N’accomplir aucune œuvre pieuse
Ne chercher aucune issue miraculeuse
Ici on ne peut rien légitimer
Car ce serait comme tout figer
Il n’y aurait plus de porte
C’est la Vie qui serait déjà morte
Ici il n’y a ni début ni fin
Ni soir ni matin
C’est le plus court des voyages
Celui où tu perds ton visage
Mais ceux que tu vois
Font tous partie de toi
Aucun vraiment ne te fascine
Et c’est ton regard qui les illumine
Ils ne te regardent pas
Tu ne t’y reflètes pas
Ce ne sont pas des choses
Mais comme des massifs de roses
Qui bordent ce chemin
Qui n’est fait que de liens
Dont tu dois prendre conscience
Pour voir en toi sa constante présence
BEAUTÉ MESSAGÈRE (extrait)
Ce que je te reproche ce n'est pas de m’avoir giflé
Car ça je l’avais certainement mérité
Ce n’est pas de m’avoir donné une réponse aussi précise
Au contraire je te remercie pour ta franchise
Ce que je ne puis te pardonner
Ce n'est pas que tu m'aies désillusionné
Je comprends que face à la laideur de mon visage
Ma prétention et mon insistance t’aient mise en rage
Ce qui entretient mon chagrin et ma rancœur
C'est que tu n'aies pas senti ma douceur
Que tu m’aies perçu comme un être vulgaire
Ma demande n’était pas de nature grossière
Tu m’as répondu comme si j’étais un vieux jouisseur
Comme si je voulais te faire peur
Afin de faire tomber tes défenses
Et profiter ensuite de ta quintessence
Tu m’as répondu comme à un vilain
Qui ne vaut absolument rien
Du haut de ta beauté magnifique
Comme à un être maléfique
Tu savais pourtant que je sortais de la nuit
Et que je n’en étais pas tout à fait remis
Mais il t’importait peu que j’y retombe
Il t’importait peu que je creuse à nouveau ma tombe
Tu étais prête me faire à nouveau condamner
Tu espérais que je réagisse par la méchanceté
Que tout le monde voit la flagrante évidence
De mon inguérissable violence
Sais-tu qui vraiment je suis aujourd’hui
Je ne suis plus dans la même vie
J’ai changé d’esprit de cœur et d’âme
Même si j’aime toujours la même femme
Ce n’est pas le même homme que tu vois
Certes il ne sera jamais aussi beau que toi
Mais le corps n’est souvent qu’une parure
Qui cache les pensées les plus impures
Il n’est pas toujours un fidèle miroir
Il peut dissimuler un cœur noir
Alors qu’une repoussante apparence
Peut cacher une inconditionnelle aimance
La beauté terrestre n’est qu’un pont un escalier
Pour nous faire aller vers ce qui est plus élevé
C’est comme une magique nacelle
Qui nous élève vers la sphère spirituelle
Ce n’est pas qu’un mouvement des yeux
C’est l’élévation de l’esprit vers les cieux
Car la beauté est ce qui est léger et fluide
Tout à fait l’inverse de la matière putride
La matière prend forme puis elle pourrit
Le fluide de l’immatériel est infini
L’enveloppe corporelle est lourde et putrescible
L’esprit est par nature léger et incorruptible
Parce qu’il ne revêt aucune identité
On y accède par la contemplation de la beauté
Et non par l’accumulation de choses
Qui toutes un jour se décomposent
(fin de l'extrait)
AMOUR ET DÉCADENCE (extrait)
Je dois désormais pêcher à la ligne
Le bon poison que l’on me désigne
Je ne pars plus en haute mer
C’est le destin commun de la chair
Ce vilain hommage
Que l’on fait à mon vieil âge
Me fait un automne nuageux
J’avais rêvé de mieux
Pas de chaleur exponentielle
Pas de vols d’hirondelle
Mais dans un ciel changeant
Les lueurs pâles d’un astre hésitant
Heureusement il y a le souvenir de ma jeunesse
Le souvenir de mes fantastiques ivresses
Je n’ai pas encore complètement disparu
Car pour célébrer ma fin une orgie j’ai prévu
Je me souviens de la langueur de l’aurore
Juché sur le toit d’une laure
Je voyais nager comme d’incertains cyprins
Entre l’œil creux de mes deux mains
Des filatures indécises
Qui en vain se suivent
On ne peut en faire un écrin
Sauf peut-être celui de demain
Et l’ombre doucement me recouvre
Une porte funéraire lentement s’ouvre
J’ai le vertige je me sens malgré moi attiré
Vers des abysses d’obscurité
Heureusement il y a le souvenir de mes maîtresses
Celles que je couvrais d’amour fou et de caresses
Elles n’’ont pas vraiment disparu
Car je suis toujours mû par l’image de leurs douceurs nues
Mais ce n’est pas un vrai voyage
Ce n’est qu’un changement de visage
Pour peut-être jouer un nouveau rôle
Dont j’aurai l’éphémère monopole
Je goûte aux derniers zestes de lumière
Encore plus belle mais toujours plus chère
Et même voilà que soudain je cours
Je veux croire encore à l’amour
Je cours mais je tangue
Tout ici m’enjambe
Les cieux sont noirs et oppressants
Ils reflètent la froideur croissante de mon sang
Heureusement il y a le souvenir des jours de liesse
Quand sans limites était ma hardiesse
Elle n’a pas totalement disparu
Car ici je peux encore montrer mon cul
La pie ici est comme une korrigane
Le diesel lentement la fane
Mais elle poursuit son chemin
Sans se soucier du corbeau et de la faim
Elle descend un à un tous les étages
Pour éviter d’être mise en cage
Car les machettes et les scies
Ne sont pas ses amies
Pour éviter d’être pris de panique
Je marcherai de plus en plus en oblique
C’est pourquoi je compte déjà mes pas
C’est ainsi que s’exprime ma foi en moi
(fin de l’extrait)
QU’EST-CE QUE LA MÉDITATION
Qu'est ce que la méditation
Ce n'est pas seulement observer sa respiration
Ce n'est pas seulement respecter la règle du silence
Et exercer sans jamais se crisper sa vigilance
Ce n'est pas qu'observer et accepter ses pensées
Et tout ce qui apparaît sans jamais rien rejeter
Joies tristesses colères questions angoisses
Tout ce qui survient apparaît se ressent et passe
Mais c'est comme un indéfinissable jeu
Des nuages gris passent sur un beau ciel bleu
Ils ne sont que de passage
Impossible de les mettre en cage
Ici et maintenant au plus proche de soi
Strictement à zéro millimètre de moi
C'est vraiment sans gêne et sans limites
Que le monde entier en moi s'invite
Et si je l'accueille inconditionnellement
C'est vraiment involontairement
Ce n'est pas une conquête
Il suffit de laisser la porte ouverte
Et alors pendant un instant de la tête aux pieds
Je me sens par de longs éclairs traversé
C'est comme une miraculeuse avalanche
De lumière neigeuse toute blanche
Pendant un instant je ne suis plus rien
Enfin plus rien qui soit très commun
Je deviens comme un immense et invisible hôte
Qui reçoit chez lui tous les autres
L’ÉTOILE DU JOUR (extraits 2 et 3)
Au moment même de l’Union
Il y a eu en moi une vibrante implosion
Et j’ai vu descendre du ciel une étoile
Elle descendait lentement à la verticale
J’ai ressenti sa douce chaleur
Comme un pont entre elle et mon cœur
C’était bien plus qu’une coexistence
C’était bien plus qu’une convergence
Ce n’était pas un chemin commun
Elle et moi nous n’avons vite fait qu’Un
En fait c’était l’affirmation de ma différence
Qui avait créé et entretenu la distance
Elle avait toujours été là près de moi
Mais je ne la voyais pas
À mes yeux elle n’était pas visible
Car je ne m’intéressais qu’au divisible
Heureusement il y a eu le hasard
Qui m’a fait sortir des miroirs
J’ai enfin vu autre chose que des images
J’ai enfin changé d’âge
[…]
Cette étoile qui descend vers moi
Ne peut être vue que par moi
Je ne peux en faire une friandise
Encore moins une marchandise
Elle vient quand à l’autre je m’unis
Surtout quand c’est un ennemi
C’est la maison de mon âme
Dont jamais ne s’éteint la flamme
Comme le jour entre deux nuits
Je m’y repose entre deux vies
Mais parfois dans mon cœur je l’invite
Et elle m’honore de sa visite
Le meilleur de mon être ne peut être vu
Le meilleur de mon être ne peut être entendu
Le meilleur de mon être c’est ce que je ne peux pas paraître
Le meilleur de mon être c’est ce dont je ne suis pas le maître
LE VOYAGE COSMIQUE DE L’AMOUR (extrait 2)
Sans miroir je me sentais nu
Enfermé dans une clôture
Qui était pire qu’une censure
C’était celle d’être de tous constamment vu
Mais on m’a montré ce qu’est le jour face à la nuit
Et je suis heureux d’avoir accepté cette lumière
Qui m’a fait traverser mes murs de verre
Elle m’a fait changer de vie
J’étais en pleine hibernation
Je n’avais jamais vu ce genre de parade
Ça ressemblait fort à une embuscade
Je croyais m’être protégé de toute exhibition
Je m’étais coiffé d’un rouge bonnet
Et je l’avais regardée bien en face
Pour l’empêcher d’entrer dans mon espace
Et de cela elle n’avait pas eu l'air étonnée
Elle m’a regardé de bas en haut
Comme un haltérophile de foire
Extradé d’un légendaire territoire
Peut-être m’a-t-elle trouvé beau
Et puis elle s’est de moi éloignée
On aurait dit une vieille marquise
Avec ses dentelles blanches et grises
Avec mon garde elle s’est mise à converser
Elle examinait de loin mon corps
Avec dans le regard un rien de gêne
Comme si j’étais un peu plus qu’une chair humaine
Elle pensait peut-être déjà à nos cosmiques transports
J’ai supporté son regard sans réagir
Je me suis senti blessé et en colère
D’être considéré uniquement comme de la matière
Ce fut comme le rappel d'un mauvais souvenir
J’étais l’objet d’une évaluation et de comparaisons
Je perdais en mon avenir toute espérance
J’étais en train de perdre de mon être toute conscience
Je commençais déjà à regretter ma prison
Ensuite je n’ai rien compris j’ai été surpris
La porte s’est lentement ouverte
Et personne n’a donné l’alerte
Personne n’a sorti un fusil
J’étais méfiant et je n’ai pas bougé
Était-ce une épreuve ou un piège
Je cherchais en vain une idée qui me protège
De cette invraisemblable possibilité
J’ai esquissé un premier pas
Dans le plus total silence
Cette possible délivrance
Avait un air de décadence
(fin de l'extrait)
JE NE SUIS PAS UNE HOUDAN
C'était mon premier coup
Et ce fut de tous le plus fou
Celui qui jaillit du fond de mon armoire
Et je ne m’en fis pas toute une histoire
Il n’était pas très joli
Mais c’était un ami
Il n’avait pas fait la guerre
Il sentait encore le lait de sa mère
Pour lui aussi c’était la première fois
Son corps incroyablement pâle tremblait de froid
Et nous avons trouvé notre essence
À la première station de romance
Je n’ai pas eu besoin de le starter
Pour que je me sente tout de suite armée
Cet amour était d'une cuvée exceptionnelle
Et sa tendresse fut tout de suite inconditionnelle
Elle pénétra au plus profond de moi
Ce fut comme une brume de soie
Qui se déposa en volutes douces
Pour faire comme un suprême de mousse
Ce fut vraiment un grand bonheur
Qui resta longtemps gravé dans mon cœur
Car malgré la douce violence de ses caresses
Il ne m’avait fait aucune promesse
Si bien que notre future séparation
Je ne la vivrai pas comme un abandon
Nous n’avons pas installé d’attaches
Nous ne jouerons pas à cache-vache
Je ne serai jamais pour toi une houdan
Il n’y aura ni gagnant ni perdant
Pas la peine d’attendre d’être sénile
Pour aller mourir seule sur mon île
JE SUIS JE SUIS (extrait)
Je n’étais pas encore né
Que d’une prison mal éclairée
Dans une obscure grotte
Je vous libérais déjà de vos fautes
Je suis le super-libérateur
Car c’est moi le grand amuseur
C’est par un radical dézonage
Que j’ai détruit votre baguage
Ne partez pas, n’ayez pas peur
Même si de moi vous avez horreur
Parce que je chuchote à vos oreilles
Que votre nature est à la mienne pareille
Je vous en demande pardon
Car je ne suis pas que bon
Mais ma douce malveillance
Est à votre ressemblance
Je ne fais pas que le bien
En signe de moi je ne vous donne rien
Et totalement parfois j’ignore
Ceux qui m’implorent
Je ne suis pas un bon papa
Souvent je ne suis pas là
Excusez-moi de mes absences
Mais c’est dur l’omniprésence
Je ne peux pas être partout à la fois
Même pour ceux qui croient en moi
Bien que je me déplace à la vitesse de la lumière
Je vis tout de même dans la plus totale misère
Heureusement je suis un être cristallin
C’est avec le cœur que je vous atteins
Je traverse l’immense espace
En cédant à l’Autre ma place
Je lui délègue mes pouvoirs
En renonçant à tous mes avoirs
Mais quand il faut rendre des comptes
On ne croit pas ce que je raconte
(fin de l'extrait)
LE VOYAGE COSMIQUE DE L’AMOUR (extrait 3)
Vénérer des idéaux de perfection
C’est ce qui entretient toutes les violences
C’est ce qui justifie toutes les intolérances
La source glaciale de toutes les destructions
Il est vrai que je suis monté très haut
Mais cette infinie largesse
N’exclut pas de troubles bassesses
Je replonge encore souvent dans mon égo
Je deviens alors à nouveau lourd
Je reviens à mon obscure cachette
Mais quand j’oublie ainsi la légèreté de l’être
C’est pour pouvoir rester conscient de mon Amour
Je ne puis être un être divin
Que si j’accepte ma nature humaine
Toujours capable d’envie et de haine
C’est cela mon chemin
DEUX POUR UN (extrait 2)
Dans cette nuit où tout me semblait gris
Je n'avais pas pris le temps de me faire des amis
Et j’allais me retrouver seul ramant comme un esclave
Craignant de devenir bientôt une épave
Eux ils souffraient tous d’une incurable logorrhée
Moi j’aurais voulu me servir simplement de mon épée
Eux ils voulaient que dans son fourreau je la range
Moi je voulais que tout rapidement change
Mais un bel héraut est venu me dire très haut
Que je devais partir au loin prendre un bateau
Cela ne m’enchantait pas cette idée de voyage
Malgré l’imagination suggestive de son langage
Je ne l’ai pas accueilli comme un ennemi
Mais je n’ai pas su lui dire que j’étais déjà parti
Il est vrai que pour lui cela n’aurait eu aucune signifiance
De lui parler de mon océan intérieur et de ses secrètes anses
En même temps il me séduisait par son beau discours
J’aurais pu ressentir pour lui de l’amour
Mais lui devait obéir aux ordres
Et je n’aurais pas aimé qu’il se désaccorde
Moi je rêvais d’exploration dans les profondeurs
Là où j’aurais enfin pu conjurer mes colères et mes peurs
Lui me parlait de la vastitude du monde
D’une grosse boule compacte lourde et ronde
Alors que moi je rêvais d’une verticale fluidité
Dans laquelle je pourrais profondément plonger
Lui voulait que j’explore des surfaces
Il me décrivait le monde comme une vaste terrasse
J’aurais pu en faire des cartes et des dessins
Tracer des routes et des chemins
Et revenir un jour avec l’éclat de la gloire
Pour raconter de belles histoires
Moi ces belles prouesses ne m’intéressaient pas
Mais il me répondait que je n’avais pas le choix
Sur ce petit territoire j’étais devenu indésirable
Mon départ était devenu incontournable
Alors que faire ? J’ai sorti mon épée et je l’ai menacé
Je l’ai obligé à plonger avec moi dans la nébulosité
Il a été tout de suite pris de panique
Et j’ai trouvé ça très pratique
Car il devint mon otage et mon compagnon
Il m’évita plus tard de finir en prison
Je le guidai par des voies obscures
Bordées d’étranges embrasures
(fin de l'extrait)
LUMIÉRES ET SABLES
Nous étions sur le dos d’un dromadaire
C’était un jour de soleil levant
Nous étions nimbés de lumière
Et nos contours étaient encore hésitants
Elle m'ombrait de la profondeur de son être
Mon esprit se consumait dans ce feu
Mais il tardait à disparaître
Il s’élevait vers les cieux
En faisant un blanc nuage
Inattendu et tout à fait incongru
Dans cet aride paysage
Où les plus beaux leurres ne sont jamais vus
Dans le règne prégnant de l’indolence
Nous devions conserver un peu de fraîcheur
Afin de préserver nos existences
Ne pas céder à la douceâtre torpeur
Ne pas se laisser enclore
Dans un mirage magicien
Ne pas se laisser devenir incolore
Oser être à soi-même son propre nain
Afin d’échapper à la fusion souveraine
S’enfouir dans les sables mouvants
S’en faire une mousseuse gaine
Où nous attendrons la mort éternellement
CORRESPONDANCES
Les filles de la nuit se sont enceintes
Et leurs commanditaires soussignés se sont endormis
Dans les mousseux jupons
Qui mélangeaient les dentelles des anciens mariages
Aux impudiques jarretelles s’exhibant sur de blancs jambages
Les motos défilaient dans la rue sans jamais s’arrêter,
Elles s’engouffraient au loin silencieusement
Dans de profondes vasques de lumière
Entre les nuages gris de l’horizon toujours invisible
Mais tout ça était entrelacé de scalaires et de filières,
C’était couplé de lampadaires hémophiles mais beaux,
Que des gagnants anonymes devaient gravir pour se reconcentrer
Et qui jalonnaient leur parcours.
Celui qui les faisait arriver toujours les premiers
Aux boisseaux de l’horizon mauve qui précède la nuit,
Sous des vapeurs floues,
Loin des moussons aux doigts rouges,
Des routes bleu foncé nous transportaient
Vers ce point de rencontre secret
Auquel les dandins ordinaires n'avaient pas accès.
Il jaillissait de ces magnifiques fontaines
Une source qui re-fécondait le monde
VIDER MES POCHES
Moi je n'ai rien dit
Quand au milieu de cette nuit
Il y a eu ce drôle de candélabre
Qui se répandait comme une poussière impalpable
Bien sûr comme tout le monde je l'ai vu
Mais je n'ai pas été ému
Autour de moi c'était la panique
Chacun cherchait à sauver sa boutique
Mais moi comme je ne possédais rien
J'ai continué tranquillement mon chemin
Et aujourd'hui on me le reproche
Je n'aurais pas été de mon prochain assez proche
Mais je ne suis qu'un pauvre gueux
Et si j'ai pris cela comme un jeu
C'était parce que je n'avais pas de domicile
Alors je faisais semblant d'être indocile
Mais aux autres je n'ai rien pris
Simplement j'ai beaucoup appris
C'est cela sans doute qui est impardonnable
On ne peut accepter que je ne sois pas manipulable
Bon je sauverai peut-être ma peau
En admettant que je ne suis pas beau
Je viderai toutes mes poches
Afin qu'ils voient que je suis toujours aussi moche
MESSAGE DE SABLE
La mer va bientôt effacer
Les mots gravés sur le sable
Et je ne sais que penser de ce petit texte
Que je ne prendrai sans doute pas le temps de méditer.
Il me dit pourtant le temps qui passe,
Il me dit la lumière qui décroit
(c’est une fin d’après-midi en automne),
Il me dit qu’il est temps que j’apprenne à vivre.
Les vagues s’approchent inéluctablement
Et je voudrais pour une fois pouvoir les détourner,
Les empêcher de tout effacer,
Mais même ce paysage
Finira par disparaître de ma mémoire.
Les gens vont et viennent
Sur la grande plage de Saint-Malo,
Seuls ou par petits groupes vagues
Et je dois parfois m’écarter pour les laisser passer.
Ça y est, la première ligne a été altérée
Et les lettres sont mutilées ou déformées.
Ça n’intéresse personne.
C’est banal.
Les écrits passent,
On les lit puis on les oublie.
On en lit d’autres qu’on finira par oublier aussi.
La mer, avec le va-et-vient incessant des marées
Et les vagues toutes différentes les unes des autres,
Symbolise le renouvellement incessant de la vie.
Elle nous envoie des messages éphémères
Mais qui sont souvent répétitifs
Curieusement, le premier mot – qui est un « Je » –
Résiste pour l’instant.
Le deuxième s’est effiloché et est devenu illisible,
Mais je m’en souviens.
Il exprime l’amour ressenti par le scripteur
Qui, plus loin, indique indiscrètement
Le prénom de la destinataire.
Donc rien d’extraordinaire, me direz-vous,
Ce n’est qu’une banale déclaration d’amour.
Oui, mais la seconde ligne est une invitation à se retrouver
En un lieu (sur une île, je crois) et à une heure précise.
Et l’inscription se situe dans le bas estran,
C’est-à-dire très proche de la mer à marée basse.
Difficile à comprendre,
Elle n’était donc pas destinée à durer ?
Le prénom était Marine.
Peut-être était-il simplement amoureux de la mer…
Ou amoureux de la vie…
C’était peut-être un message d’amour à la vie,
À l’imprévisibilité, à l’éphémère.
SAUVETAGE
J’ai entendu tes appels de détresse
J’ai mordu à l’hameçon de la tendresse
Et je suis resté seul avec toi
En m’écartant définitivement de ma voie
Ici nous n’étions pas des cents et des mille
Ce n’était pas une grande ville
C’était un désert
Entouré de mer
Pour m’enfuir il a fallu que je me mouille
J’ai dû nager comme une vieille grenouille
Pendant des jours des mois des années
Sans jamais parvenir à beaucoup m’éloigner
Je partais toujours à la dérive
Et revenais finalement aux mêmes rives
L’espoir ne se nourrit pas de hasard
Il lui faut quelque chose à entrevoir
J’aurais fini par mourir de lassitude
De ne plus pouvoir changer mes habitudes
Mais un beau jour un bateau est venu
C’était un soir j’avais beaucoup bu
Et j’ai cru d’abord à un mirage
Un sortilège de bas étage
Mais même au bout de ma nuit
Il ne s’était pas évanoui
Le capitaine était un ennemi d’enfance
Et il a cru aiguiser ma souffrance
Il m’a fait payer très cher le transport
Il m’a amené loin de mon port
Mais ce n’était pas un port d’attache
Ce n’était pas un champ de vieilles vaches
C’était à la croisée de tous les chemins
Là il n’y avait ni début ni fin
À BON PORT
Celui qui sur l'autre a raison
A tort d'avoir raison
Mais celui qui s'est égaré dans l'océan du tort
Peut toujours revenir au port
Et alors il se lèvera une nuit
Pour interroger ses amies
Il contemplera longuement les étoiles
Jusqu'à ce qu'elles en deviennent pâles
Et alors il verra le soleil se lever
Et il sera éclairé
Par une lumière nouvelle
Qui lui donnera des ailes
Il verra au-delà de l'horizon
Il fera en avant un grand bond
Il perdra totalement la face
Mais il y gagnera le plus grand des espaces
Ainsi parlait le roi des mois
Mais soudain la vie le quitta
Que reste-t-il alors de cette fable
Il n'en reste que l'inexprimable
LE MÉDITANT DANS SON CHAMP
Pourquoi donc je pratique la méditation ?
Ce n'est pas parce que cela aiguise mon attention,
Pas non plus parce que cela me détend et me délasse
Ni parce que cela étend à l'infini mon espace.
Ce n'est pas parce que je me sens plus présent :
Que je me sente bien ou mal, c'est toujours maintenant.
Ce n'est parce que je rencontre parfois la lumière
Tout en restant profondément enraciné dans la matière.
Pas non plus parce que je me sens aux autres plus ouvert
Et que de moi ou des miens je me sens moins fier :
Je ne mets plus entre moi et eux une fausse distance,
En moi comme en eux je ressens une grande confiance.
Car je ne rejette ni la souffrance, ni le doute, ni la peur,
Je ne me bats plus contre les tourments de mon cœur.
J'accepte tout ce qui survient : la joie, les larmes, les rires,
J'accepte l'indifférence comme de déplaire ou de séduire.
Si je médite, ce n'est pas pour me sentir plus grand
Tout en restant le plus humble des servants.
Ce n'est pas parce que je me sens plus à l'écoute,
Même et surtout de ces autres qui suivent une autre route.
Ce n'est pas parce que je me sens bien mieux
Lorsque mon mental est vide et silencieux,
Que de mes pensées il ne reste plus que l'absence,
Que je savoure comme une imprévisible vacance.
Si je médite ce n'est pas parce que je ressource ainsi mon corps
Ni parce que je ne crains plus alors la maladie et la mort,
Ni parce que ma créativité est ensuite prolifère
Et que mes œuvres deviennent à moi divinement étrangères.
Alors, pourquoi méditer si c'est pour refuser
Tous ces bienfaits que je viens d'énumérer ?
Mais je ne les refuse pas quand, parfois, ils s'invitent.
Le problème, c'est que jamais, jamais je ne les mérite.
Car ce ne sont pas les résultats que j'espérais.
Ce que j'espérais, c'était de découvrir une noble vérité
Et non pas ces collatérales conséquences
Que sont la détente, le discernement et la bienveillance.
AVEC MON CORPS AVEC MON ÂME
Reverrai-je un jour mes amis du mercredi
Qui étaient aussi parfois ceux du vendredi
Nous partagions de profonds moments de silence
Dans le recueillement et la présence
Même quand une voix proche nous distrayait
On aurait pu entendre le plus léger papillon voler
Même quand nos pensées étaient invasives
Notre attention n'était pas sélective
Même quand je venais là contre mon humeur
La paix finissait par s'installer dans mon cœur
C'était comme un moment de grâce
Où je me sentais bien à ma place
Je ne partageais pas toutes leurs idées
Parfois je m'en sentais même très éloigné
Mais je sentais en eux une telle bienveillance
Que je me sentais accepté dans ma différence
Ce qui était purement intérieur
Ne pouvait être à rien supérieur
Au plus proche de soi à zéro millimètre
Chacun était son propre maître
Au plus proche de soi c'était l'inconnu
Et mon moi avait complètement disparu
C'était à la fois une merveille et un mystère
De ne plus être que cette douce et chaude lumière
D'être comme un anonyme et immense courant
Fait de tous les êtres présents et même absents
Comme un grand fleuve un océan insondable
Jamais pareil et pourtant immuable
Je vous le dis ce n'était pas que de la méditation
Ce n'était pas que de la détente ou de la concentration
Ce n'était pas chacun pour soi dans sa cage
Mais je ressentais très fort le partage
Il se faisait presque malgré moi
Sous le regard apaisant du Bouddha
J'étais alors sans le vouloir son disciple
En suivant sans le savoir une voie multiple
Reverrai-je un jour mes amis
Ou quand ils se retrouveront serai-je déjà parti
Regretteront-ils alors mon absence
Ou sentiront-ils encore ma présence
Quoi qu'il survienne je serai avec eux
Même si je ne crois pas en Dieu
Avec mon corps ou avec mon âme
Je crois en cet étrange programme
QUI SUIS-JE ?
Perdu au fond de mon confinement
Ce n'est pas la fin que j'attends
Mais ce que patiemment j'espère
Ce sont des jours de lumière
Ces jours de grand soleil
Qui accompagneront mon réveil
Qui me feront un si grand sourire
Qu'il se transformera en un éternel rire
Que mon cœur d'avance en chavire
Et où nous allons tout reconstruire
La paix intérieure le partage le sourire
J'attends de retrouver mon chemin quotidien
Celui qui me faisait rencontrer les miens
Mais aussi ceux qui me parlaient un autre langage
Qui n'était pas celui de mon familier entourage
Je ne comprenais pas tout ce qu'ils disaient
Surtout quand parfois entre eux ils psalmodiaient
Je me sentais pourtant en parfaite résonance
À l'abri si grand ouvert au fond de mon silence
On ignorait presque tout de la vie de chacun
Chacun respectait de l'autre son destin
Mais c'était pour moi une véritable aventure
Que de découvrir ma véritable nature
Celle qui cache mon plus grand secret
Ce qu'aux autres je ne montre jamais
J'avais toujours un peu peur de déchirer le voile
Et qu'ainsi la vérité tout d'un coup se dévoile
J'aurais alors comme un fou au-dehors couru
Comme une âme soudain complètement nue
Dépouillée des fausses apparences
De la plus ordinaire des existences
J'aurais brisé alors tous les miroirs
De ma vie de mes amours de mon pouvoir
Mais pour un méditant est-il convenable
De montrer ainsi qu'il est si vulnérable
Merci de ne pas me dire où est mon erreur
Ce n'est pas le désir ou la peur
C'est de vouloir jouer au Sage
Qui m'a fait écrire cette page
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