PRÉSENTATION DU LIVRE
ET EXTRAITS
CLAIR-OBSCUR À SAINT-MALO - Méditations poétiques sur le Sillon.
Dans ce recueil (32ème livre de l'auteur) comprenant plus d’une centaine de textes, le poète nous révèle sa manière peu commune de revisiter la ville corsaire où il réside depuis quelques années. Son incessante redécouverte quotidienne de Saint-Malo s’exprime sous des formes diverses : poèmes d’hommage à la douceur de vivre malouine, longs chants marins incantatoires, célébrations historiques au ton souvent provocant, introspections parfois hallucinatoires, fables modernes… Au hasard de ses flâneries et de ses rencontres sur la promenade côtière du Sillon, l’auteur nous décrit un paysage maritime unique, toujours changeant – où les violents éclats de la mer écumante alternent avec des intermèdes apaisants de nuages gris-argent. Une population bigarrée y mêle indistinctement touristes et résidents, nouveaux habitants et autochtones, marins et retraités... L'écrivain breton en extrait une poésie contrastée, qui allie le ton de la méditation et celui plus guerrier des anciens corsaires.
Auteur : Jean-Paul Inisan - éditeur : Edmond Chemin (Traverses), décembre 2024 – 212 pages , format 21 x 14,8 cm – prix : 16 euros – ISBN : 979-10-95638-24-7 – peut être commandé dans toutes les libraires et sur tous les sites de vente internet. Site recommandé (pour sa rapidité) : https://librairie.bod.fr/
EXTRAITS COURTS
CLAIR-OBSCUR À SAINT-MALO
Sautez sur le premier nuage
Car, ici, ils sont tous de passage.
Vous verrez, il vous amènera très loin,
Il vous remettra sur le bon chemin !
C’est celui de l’aventure et du rêve,
Là où le monde en vous s’achève.
Si vous ne me comprenez pas,
Ne changez surtout pas de voie.
*
Entre combats et folles chimères,
Entre ses ruelles obscures et ses enclaves de lumière,
Entre son passé noir et la clarté fabuleuse de sa gloire,
Saint-Malo ne cesse de me raconter son histoire.
*
"Ni français ni breton, malouin suis".
Même tes habitants qui ne sont pas nés ici
Revendiquent fièrement ta différence,
Héritage lointain d’une brève indépendance.
Cela leur fait le cœur chaud
Que le drapeau de Saint-Malo soit le plus haut.
C’est bien plus qu’un symbole
De s’afficher au-dessus de la métropole !
*
Ho Ho Saint-Malo,
Je n’entends plus les flots !
Tu chantes à tue-tête,
Plus fort que la tempête !
Tu cries sur les remparts
Que tu ne dois rien au hasard,
Que ton éternelle gloire,
Tu la dois à ton histoire,
Elle s’est faite à coups de canon
Et par de féroces expéditions,
Mais tu es toujours très fière
De tes héros légendaires.
*
La vague intense du sable, dense et doux,
Comme la peau d'une jeune vierge,
Qui ne cesse d'être déflorée
Par les marées de la nuit,
Mais toujours elle en guérit.
Et je la trouve encore plus belle
Quand, chaque matin, je m’étends sur elle,
En humant ses algues de dentelle.
*
J'avais perdu la mémoire,
Je voguais au rythme des flots.
C'étaient eux qui me racontaient mon histoire,
Ce n'était pas avec des phrases et des mots.
C'étaient de fantasmatiques images,
Projetées sur un grand écran bleu
Et, comme par un étrange sort ou un simple mirage,
Je me trouvais dedans.
*
Sur la plage, les chiens courent comme des lièvres,
Ils courent après d'autres chiens,
Chacun devient, à tour de rôle, de l'autre le lièvre,
Tout ça galope, galope, galope sans fin.
Là où il n'y a pas de frontières, il n'y a pas de combat.
*
Toute cette beauté dont on sait qu’à l’aube naissante
Elle va apparaître !
Cette belle clarté dont on sait,
Même dans la nuit la plus noire,
Qu'elle existe. Elle existe.
Elle va apparaître.
Mon dieu, est-il besoin de plus que cela ?
*
Saint-Malo entre murs hauts,
Comme un gothique vaisseau
À jamais amarré
À de séculaires rochers.
*
Voulez-vous avancer ou reculer ?
Il n’y a pas d’autres alternatives,
Car, ici, on ne peut vivre entre deux rives.
*
Il y a comme une sorte de complicité joyeuse,
Le sentiment jouissif d'être
Comme un clandestin légitime
Au milieu de cette foule d'inconnus,
Qui sont tellement différents de vous !
Ils ne parlent pas comme vous,
Certains ne parlent même pas la même langue que vous
Ou n'ont pas la même couleur de peau
Et, pourtant, tout le monde a l'air heureux.
*
C'était dans les yeux clignotants de la ville,
Une nuit d'automne à Saint-Malo.
Le soleil n'avait laissé aucun marque-page
Sur les débris de gros nuages.
*
Nous savons bien que demain
Ou en tout cas un jour prochain,
Nous pourrons sortir de notre cage
Pour illuminer à nouveau le paysage.
*
Le soleil se lèvera sur un clair horizon
Quand nous ne jouerons plus aux mauvais garçons,
Quand nous arrêterons nos beuveries et nos transes
Pour revenir enfin à nos vraies existences.
Nous retrouverons alors nos maisons,
Nous enfilerons nos chaussons,
Nous oublierons nos folles escapades.
Jusqu’à la prochaine grande parade.
*
C’est le destin de chacun de trouver sa voie,
De trouver un abri qui le protège de l’ennui.
*
L’immobilité définitive de mon être profond,
Celui qui n’a jamais bougé et qui ne bougera jamais.
*
Simplement les paroles s'envolent :
Courtes salves de mélopées murmurées,
Qui n'ont pas de cibles précises.
C'est juste si bon de s'entendre à peine parler,
Face à cette immensité grondante et mouvante,
Qui engloutit toute fierté mal placée !
*
Des marins la reconnaissance
Vaut bien plus qu’une seule existence !
Cent ans après les avoir dépannés,
Ils n’ont toujours pas oublié.
C’est ce qu’on appelle les copains.
Ils ne vous connaissent pas bien,
Mais ils n’ont pas perdu la mémoire.
Pas besoin de boîte noire !
Ce que pour eux vous avez fait,
Dans leur cœur est à jamais gravé.
*
Et même quand on en venait aux mains,
Cela se terminait toujours bien.
On se retrouvait tous autour d’une chope
Pour régler nos comptes entre potes.
*
Ne croyez pas tout ce que je vous dis,
Car il n’est pas vrai que tout a déjà été dit.
*
Si vous partez dans l’analyse,
Vous ne sentirez plus la brise
Et vous échouerez sur un ilot,
Très loin de Saint-Malo.
Très loin des somptueux voyages,
Très loin des joyeux partages !
Vous vivrez comme un pingouin
Qui n’aurait plus de voisins.
*
Il faut choisir entre la paix et l’aventure,
Entre la vulnérabilité et l’armure.
On ne peut tout avoir,
Sauf si on est un buvard.
*
Les rêves des malouins
Sont imprégnés d’embruns.
Ils prennent racine
Là où il n'y a pas de frontières,
Entre des rives lointaines,
Celles qui ne se toucheront jamais.
*
Que c’est beau la vie
Quand l’hiver ne dure qu’une nuit !
Nous dormons ensemble depuis la nuit des temps
Et, en vérité, nous ne voulons pas autre chose.
Les frontières du temps sont plus fluides
Que celles des territoires auxquels on s’attache.
*
Trois navires ont coulé
Au large de Saint-Malo
Et tout le monde a ri.
Et l’air était tellement transparent
Qu’on voyait bien plus qu’à l’habitude.
On voyait au-delà de ce qui nous avait été dit et redit,
On traversait des siècles de fausse repentance,
On retrouvait les vieilles connaissances :
Celles qui sont enfouies au fond des mers,
Au fond des océans, des océans d’obscurité
Et qui viennent toujours la nuit nous hanter.
*
Les requins sont des poissons mangeables
Mais très peu fréquentables.
Ils ne vous sourient pas pour vous faire reculer,
Ils ne craignent pas les verbalisations et les menaces,
Ils adorent ceux qui font preuve d’audace :
Fouilleurs de plage, touristes forcenés, baladeurs étrangers,
blanchets ou noirets, caprins d'opérette ou de cœur.
*
Tout le monde ici monte le même chameau,
Que l'on soit au creux de la dune ou tout en haut.
Ici, comme dans le désert, on est des autres tous solidaires.
Bien sûr, il y a ceux qui veulent tout faire en solitaire,
Mais ceux-là, on ne les voit jamais :
Soit ils restent pendant des mois chez eux enfermés,
Soit ils ont si totalement disparu derrière l’horizon
Qu’on perd conscience de leur existence.
*
Quand on est au loin
Sur le même bateau,
On ne jette pas le vin à l’eau !
On a vite fait de démasquer les marauds,
Pas besoin d’observatoire,
Car c’est un petit territoire.
Ici, la frontière c’est la mer,
On n’attend pas d’être rentré au port
Pour être fixé sur son sort.
*
À force de tourner en rond,
Dans ma cyclique prison,
Je ferai bientôt en avant un nouveau bond.
*
Cézembre baril de poudre protégé
Ile torturée jadis mille fois déchiquetée
Les intestins noués
De la grande mascarade obsolète
Qui fabrique les armes
Dont se nourrissent les bêtes féroces
Qui s'affrontent dans le désert des villes
Qui se construisent et se déconstruisent
Au fil des vagues qui vont et qui viennent
Qui charrient dans leurs flots
Les débris des arsenaux égarés
Dans l'histoire des siècles
Et les poudrières de l'avenir guerrier
Ne seront qu'un spectacle de plus à donner
Dans l'obscurité naissante
Alors que je ne verrai plus les nuages planant
Et que je m'enracinerai là où je ne naîtrai jamais
Là où les caravanes de feu passeront en un éclair
En un éclair de feu
*
Les îles de ma solitude sont bien plus à l'abri
Que cette masse informe
Et son sourire si accueillant
Qui cache un potentiel meurtrier
Des têtes qui explosent
Des bras de mains coupées du sang qui rougit
Qui fait honte et le premier napalm
Qui incendie les corps et laisse dans les cœurs
Un souvenir abominable
Traces du passé que je ne peux visiter
Que je ne peux qu'imaginer
Traces de l'avenir qui restent
Comme un marchepied pour accéder
À l'infinité
À l'infinité des possibles
Des possibles meurtriers
Terre blessée à mort
*
C’est un soir d’hiver à Saint-Malo
Et le temps n’est pas beau.
La pluie tombe en trombes.
D’énormes nuages sombres,
Comme un immense couvre-ciel,
En un majestueux funèbre cérémoniel,
Rassemblent lentement leurs troupes
Qu’ils vont déverser en torrents de gouttes.
*
Saint-Malo s’invertit en hiver.
On n’y oublierait presque la mer
S’il n’y avait pas ces violentes tempêtes
Qui, sur les riches demeures, furieusement se jettent.
Les coups de vent chargés d’embruns,
Avec leurs effluves iodés et leur souffle salin,
Qui giflent les majestueuses façades
En de somptueuses et tonitruantes parades.
*
Entre les images du passé toujours présentes
Et celles du présent qui sont en train de passer,
C'est cela la vraie vie de Saint-Malo.
C'est une vie secrète, une vie forte,
Que vous ne pouvez connaître
Qu'en dormant à Saint-Malo.
À Saint-Malo intra murs hauts.
*
Nos chants avaient le sens du désespoir
Nous savions que nous allions bientôt mourir
Nous n’avions pas besoin de nous essorer
Dans une belle vasque de marbre
Nos plus généreux remplissages
Faisaient déborder les fleuves de l’aventure
Et inonder les plaines de notre avenir
Du sang qui allait forger l’Histoire
Celle de Saint-Malo
Et de bien d’autres ports de France
Et d’ailleurs
*
Sous l’onde sombre des fleurons,
Il y a ceux qui ne s’agenouillent pas
Devant le glamour d’un faux mousqueton.
Sous la pluie qui tombe comme une myriade de minuscules perles
Transparentes et de simplicité si belles.
*
Les touristes vont sur le Sillon ou à la plage.
Ils aiment les légendaires personnages,
Représentés dans la vieille cité
Par les statues et dans des petits musées.
Mais eux, c’est en rêvassant sur les digues
Que, les yeux dans la vague, ils naviguent.
Le soir venu, ils se sentent repus,
Contents de tout ce qu’ils ont vu et entendu.
*
Les grands voiliers amarrés aux pontons
Semblent s'ennuyer.
Dépouillés de leur majesté,
Ils sont comme de grands oiseaux déplumés
Qui se seraient enfermés dans un poulailler.
*
Devant le défilé insolite des piétons,
Qui sont comme une mouvante exposition,
Un renouvellement incessant de visages.
C'est un véritable et perpétuel voyage
De côtoyer sans cesse de nouveaux promeneurs.
Gens d'ici, de là-bas ou d'ailleurs,
Ils vous offrent leur magnificence,
Celle de leurs inépuisables différences.
*
Ils se sont rencontrés à Rochebonne
Et ils se sont promenés jusqu'à Courtoisville.
C'est là que leur histoire a commencé.
Ils n'étaient plus tout jeunes et ils ont commencé doucement.
Simplement, ils se sont assis sur un banc.
Sur le Sillon.
Ils ont échangé quelques paroles,
Il venait juste tout juste de pleuvoir.
*
L'air était clair transparent.
Sous un ciel à moitié gris et bas,
La marée avait découvert de nombreux amas rocheux,
La plage immense et calme s'offrait au regard,
Comme une ouverture illimitée à tous les possibles terrestres,
Loin des impondérables maritimes
Qu'exprime si bien le déroulement interminable
De vagues toujours nouvelles.
*
Dans le visage sibyllin du matin
Qui court entre des algues démodulées
Je ne sais que penser
La nuit vient de se dissiper
Peut-être l'ivresse des odeurs trop iodées
Je ne sais que penser
*
Ce beau et grand goéland tout blanc n'est pas fidèle,
Voilà qu'il s'intéresse à présent à d'autres promeneurs.
Je m'étais mis à rêver de je ne sais quel mystère.
Comme une grande âme blanche réincarnée
Qui aurait retrouvé son ex-âme-sœur,
Dans une autre vie,
Dans un autre monde,
Un monde parallèle.
*
Le fracas lointain des vagues
Un goéland crie
Il pleut à peine l'air est doux
Le vent souffle fort
*
Sur le Sillon
Le défilé des âges
C'est l'exposition
Le soleil d'automne
Frise les vagues d'argent
Nuages gris-blanc
La ligne d'horizon
Les nuages au loin flottant
*
La douceur du temps
Lumière tamisée
Par le filtre de la brume
Rideau diaphane
Rayons dorés
*
Rochers au front couronné
Couronné par les écumes
De la mer déchainée
Faisant face au vent
Ou trônant au milieu de l'onde tranquille
Comme des autels sacrés
*
Paramé ma bien-aimée
Celle du bourg avec son beffroi son église
Ses parcs boisés
Et celle de la mer sa falaise
Ses vieilles résidences fortifiées
Témoins d’un passé suranné
Au-dessus d’une baie de sable blond
*
Aujourd'hui, la mer était belle
Et mon cœur était chaud.
La vie me semblait éternelle,
C’était un jour de renouveau.